Un nouveau
vaccin expérimental développé par des chercheurs américains
pourrait bien révolutionner notre rapport à la grippe. Grâce à une technologie
de conception assistée par intelligence artificielle, il offrirait
une protection durable contre de multiples souches du virus, y
compris celles susceptibles de provoquer une pandémie.
Explications.
Un vaccin « intelligent »
conçu par algorithme
Chaque automne, la même
question revient : faut-il se faire vacciner contre la grippe ? Le
virus change si vite qu’il faut chaque année adapter les
formulations vaccinales aux souches qui circulent. Mais cette
course de vitesse pourrait bien appartenir au passé.
Des scientifiques de
l’Université du Nebraska-Lincoln, dirigés par le virologue Eric
Weaver, viennent de publier des résultats prometteurs dans Nature
Communications. Ils annoncent avoir mis au point un vaccin
contre la grippe d’un nouveau genre : polyvalent, durable et
potentiellement universel. Testé chez le porc, un hôte clé dans les
transmissions interespèces du virus grippal, le vaccin a montré des
résultats spectaculaires.
Ce nouveau candidat
vaccin repose sur un outil informatique baptisé Epigraph, capable
d’analyser les séquences génétiques de milliers de virus et
d’identifier les épitopes (les fragments du virus qui déclenchent
la réponse immunitaire) les plus fréquents, les plus efficaces… et
les plus stables dans le temps.
En pratique,
l’algorithme a compilé plus de 6 000 souches de virus grippaux H1N1
collectées entre 1930 et 2021. Objectif : produire un cocktail
d’antigènes capables d’induire une immunité croisée, c’est-à-dire
une réponse efficace contre plusieurs souches, présentes ou
futures.
« L’idée est de
devancer le virus, plutôt que de le suivre. Ce que nous proposons,
c’est un vaccin capable de neutraliser un large éventail de
variants, y compris ceux qui n’existent pas encore », résume
Eric Weaver.
Des résultats
impressionnants
Pourquoi tester ce
vaccin chez le porc ? Parce que cet animal est un réservoir naturel
du virus grippal. Il peut être infecté à la fois par des souches
humaines et aviaires, ce qui en fait un vecteur d’évolution virale
privilégié. De nombreuses pandémies, dont celle de 2009, sont nées
dans ce « chaudron génétique ».
Dans l’étude, les
chercheurs ont vacciné quatre groupes de porcs avec :
leur vaccin
Epigraph,un vaccin « sauvage »
classique,un vaccin commercial
existant,un placebo.
Les porcs ayant reçu
le vaccin Epigraph ont développé une forte réponse immunitaire :
production d’anticorps neutralisants contre 12 souches différentes,
y compris le variant de 2009, des virus aviaires et des souches
humaines récentes. Ils ont aussi présenté des réponses en
lymphocytes T bien plus élevées, essentielles pour éliminer les
cellules infectées.
Mieux encore : aucun
symptôme clinique n’a été observé chez les porcs exposés au virus
après vaccination. Et selon une modélisation basée sur l’évolution
des anticorps, l’immunité pourrait durer jusqu’à 10 ans.

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Une arme contre les pandémies
grippales
Ce vaccin n’est pas
seulement une bonne nouvelle pour les éleveurs porcins. Il pourrait
représenter un tournant sanitaire mondial. En effet, le virus de la
grippe A circule non seulement chez les humains, mais aussi chez
les oiseaux, les porcs, les chevaux et même les chiens. Cette
diversité hôte permet au virus de muter rapidement et d’échapper
aux défenses immunitaires.
Weaver espère que son
vaccin, en protégeant efficacement les porcs, coupera la chaîne des
mutations interespèces, et donc réduira drastiquement le risque de
nouvelles pandémies. Il imagine un scénario où l’on n’aurait plus à
redouter une nouvelle « grippe espagnole », qui avait tué entre 50
et 100 millions de personnes en 1918.
« Si l’on
parvient à immuniser les réservoirs animaux, on empêche le virus
d’évoluer et de franchir la barrière des espèces. Ce serait un bond
de géant pour la santé publique mondiale », affirme-t-il.
Une technologie prête à
changer d’échelle ?
La prochaine étape
sera de tester ce vaccin chez l’humain. Les chercheurs veulent
étendre leur stratégie à d’autres sous-types du virus de la grippe,
notamment le H3N2, et nouer un partenariat industriel pour lancer
un programme clinique.
En parallèle, la
montée en puissance des technologies de séquençage génétique et des
bases de données virales permet aujourd’hui d’envisager une
nouvelle génération de vaccins conçus par algorithme. La méthode
Epigraph pourrait être déclinée à d’autres virus à haut potentiel
pandémique.
« La science des
vaccins entre dans une nouvelle ère », estime Weaver. «
Après les vaccins classiques, puis les vaccins ARN, vient le
temps des vaccins universels. »
Vers un vaccin
contre toutes les grippes ?
Rien n’est encore
joué : le vaccin Epigraph doit encore franchir de nombreuses étapes
avant une commercialisation. Mais les résultats obtenus jusqu’ici
laissent entrevoir une stratégie crédible pour éradiquer, à terme,
la grippe saisonnière.
Et si, dans dix ans,
on ne parlait plus de vaccination annuelle contre la grippe ? C’est
peut-être moins utopique qu’il n’y paraît.