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« Le rouge est chaud » et le « bleu est froid »… même pour les personnes nées aveugles : comment l’expliquer ?

« Le rouge est chaud » et le « bleu est froid »… même pour les personnes nées aveugles : comment l’expliquer ?

  • dimanche 11 mai 2025
  • 5

Tout le monde
sait que le rouge est chaud et le bleu est froid. Ce genre
d’association paraît évident, presque instinctif. Mais comment
expliquer que des personnes aveugles de naissance — qui n’ont
jamais vu la couleur rouge ou bleue — puissent faire ces mêmes
liens ? Une étude récente publiée dans Communications Psychology propose une réponse
fascinante : le langage seul pourrait suffire à transmettre ces
associations.

Des couleurs sans
vision

Il est bien établi que
certaines couleurs évoquent spontanément des émotions, des
sensations ou des idées. Le vert rappelle la nature et la
fraîcheur. Le violet (qui en réalité n’existe pas) fait
penser à la royauté et au mystère. Le jaune peut évoquer la gaieté
ou l’énergie. On pourrait croire que ces associations sont fondées
uniquement sur des expériences visuelles : un feu rougeoyant est
chaud, une glace bleutée est froide, une forêt verdoyante est
paisible.

Et pourtant, des
personnes aveugles de naissance — qui n’ont jamais eu accès à ces
expériences visuelles — construisent des associations très similaires. Comment
cela est-il possible ? La réponse se trouve du côté du langage, et
plus précisément dans sa structure statistique.

Plongée dans le
langage avec l’aide de l’IA

Des psychologues de
l’Université du Wisconsin-Madison ont cherché à comprendre comment
le langage pourrait véhiculer ces associations sensorielle. Pour
cela, ils ont utilisé des outils d’intelligence artificielle, dont
ChatGPT, afin d’analyser de vastes ensembles de textes (livres,
articles, discours, etc.). Leur objectif : étudier les modèles
d’intégration de mots, qui permettent de représenter les mots dans
un espace virtuel selon les contextes dans lesquels ils
apparaissent.

Par exemple, si les
mots « rouge » et « chaud » apparaissent fréquemment dans des
contextes similaires, ils seront placés proches l’un de l’autre
dans cet espace. Ce principe, appelé plongement lexical, révèle les
cooccurrences de second ordre : des liens indirects entre les mots,
appris par répétition dans des contextes comparables.

Les chercheurs ont
ensuite comparé ces résultats à des réponses fournies par des
personnes voyantes et aveugles de naissance, invitées à faire des
associations entre des couleurs et des concepts abstraits :
vivant/mort, doux/dur, frais/rassis, soumis/agressif, etc.

Des résultats
étonnamment convergents

Les résultats sont
saisissants : les associations faites par les personnes voyantes et
aveugles sont très similaires. Même sur des correspondances peu
courantes (comme associer le jaune à la rapidité ou le violet à la
tristesse), les réponses convergent. Cela montre que les aveugles
de naissance peuvent acquérir une connaissance riche et cohérente
des couleurs, non pas par expérience sensorielle, mais par
immersion dans le langage.

Ce phénomène ne peut
pas s’expliquer uniquement par le fait qu’on leur ait appris des
formules figées du type « le rouge est chaud ». Ce sont plutôt des
associations implicites, intégrées naturellement au fil du temps à
travers les usages quotidiens du langage.


rouge chaud bleu froid

Ce graphique issu de l’étude donne une idée approximative de la
nature des associations de couleurs. Crédit image : Liu et al.,
Communications Psychology 2025 ( CC BY-NC-ND 4.0 )

Le langage comme
vecteur du monde perceptif

Ce que révèle cette
étude, c’est que le langage humain contient une mémoire collective
perceptuelle. Il encode, à travers les mots et leurs contextes, des
milliers de petites associations ancrées dans nos expériences
sensorielles. Lorsque l’on parle d’un regard « glacial » ou d’une
voix « chaude », on mobilise des métaphores visuelles ou tactiles
qui deviennent intelligibles même sans perception directe.

Autrement dit, le
langage est capable de transmettre des dimensions sensorielles du
monde à ceux qui n’y ont pas accès, simplement en les exposant à
son usage. Cette découverte ouvre des pistes fascinantes sur la
manière dont l’intelligence artificielle peut, elle aussi, acquérir
une forme de « compréhension » du monde en analysant uniquement du
texte.

Une nouvelle preuve
du pouvoir du langage

En conclusion, cette
recherche met en lumière l’un des pouvoirs les plus étonnants du
langage : rendre accessible le perceptible sans perception. Grâce à
la structure des mots et à la richesse des contextes dans lesquels
ils apparaissent, le langage peut servir de pont entre l’expérience
sensorielle et la pensée abstraite — même pour ceux qui n’ont
jamais vu les couleurs.

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