Quand on pense
aux fossiles du Jurassique, on imagine généralement de majestueux
dinosaures ou d’antiques
fougères. Mais une découverte récente vient bousculer ce tableau :
celle d’un parasite vieux de 165 millions d’années, appartenant à
la redoutable famille des vers à tête épineuse. Son nom :
Juracanthocephalus
daohugouensis. Et il n’a rien d’ordinaire.
Un ver solitaire, au fond d’un
lac volcanique
Ce fossile a été mis
au jour dans un ancien lac volcanique situé dans ce qui est
aujourd’hui la Chine. Sa particularité ? Il a été découvert isolé,
sans hôte apparent, ce qui est extrêmement rare pour un parasite.
En général, ces créatures à corps mou ne se fossilisent que
lorsqu’elles sont piégées à l’intérieur de leur hôte. Ici,
Juracanthocephalus a
défié les probabilités et a été remarquablement bien préservé à
l’extérieur de tout organisme, dans les sédiments fins d’un lac
jurassique.
C’est cette situation
inédite qui a d’abord déstabilisé les chercheurs, comme le raconte
le professeur Edmund Jarzembowski, co-auteur de l’étude. Car non
seulement ce ver a survécu au temps, mais il possède aussi un trait
anatomique surprenant : des mâchoires.
Des mâchoires pour un
parasite ?!
Ce détail intrigue :
les vers à tête épineuse modernes — parasites de poissons,
d’oiseaux ou encore de crocodiles — n’ont ni bouche, ni système
digestif. Ils absorbent les nutriments directement à travers leur
peau. L’existence de mâchoires chez Juracanthocephalus suggère donc qu’il possédait, lui,
un intestin fonctionnel, ce qui en ferait une forme beaucoup plus «
autonome » que ses descendants.
Autre point fascinant
: les chercheurs ont identifié le spécimen comme un individu mâle.
Ce qui ouvre la porte à d’autres questions : à quoi ressemblaient
les femelles ? Et surtout, quel était son hôte ?
Les dinosaures avaient aussi
leurs parasites
Si on ignore
précisément dans quel animal vivait ce parasite, les paléontologues
rappellent que les dinosaures n’étaient pas épargnés par les
parasites. Des preuves fossiles attestent déjà de la présence de
vers plus petits dans leurs intestins. Or, les vers à tête épineuse
modernes sont aujourd’hui présents chez des espèces apparentées aux
dinosaures comme les oiseaux et les crocodiles. Il n’est donc pas
absurde d’imaginer que Juracanthocephalus ait colonisé les entrailles d’un
dinosaure herbivore ou carnivore, bien à son insu.

L’ancien parasite a intrigué les scientifiques car il possède un
ensemble de grinçants appropriés. Crédit image : Cihang
Luo/NIGPAS
L’autre ténia, coincé dans
l’ambre
Et ce n’est pas la
seule découverte insolite dans le monde des parasites fossiles. Un
autre exemple célèbre : un tentacule de ténia fossilisé dans de
l’ambre, daté de 99 millions d’années. Comment un parasite
intestinal a-t-il fini piégé dans la résine d’un arbre ? Les
chercheurs avancent une hypothèse digne d’un film : son hôte,
peut-être un requin ou une raie, se serait échoué sur un rivage
après un événement climatique extrême. Le parasite aurait alors été
expulsé de son intestin, projeté sur une branche, et figé dans la
résine. Une fin tragique… mais scientifique.
Ce que ce parasite change
pour la science
Au-delà de
l’anecdote, la découverte de Juracanthocephalus daohugouensis est une percée majeure
en paléontologie parasitaire. Elle démontre que ces organismes,
bien qu’à corps mou et discrets, peuvent eux aussi laisser une
trace dans les archives fossiles. Elle pousse aussi à revoir
l’évolution des parasites et leurs relations avec leurs hôtes à
travers les âges, y compris à l’ère des dinosaures.
Et pendant que le
mystère de ses mâchoires persiste, le professeur Jarzembowski
poursuit ses recherches… sur les champignons zombies de l’époque
jurassique et la solitude sociale des insectes préhistoriques. Oui,
la paléontologie réserve encore bien des surprises.
Les détails de l’étude sont
publiés dans la revue Nature.