Caché sous les
profondeurs de l’océan Atlantique, un vestige
géologique titanesque vient de refaire surface… dans les
laboratoires des géologues. Des chercheurs ont mis au jour
d’énormes vagues de boue fossiles, enfouies à plus de 1 000 mètres
sous le plancher océanique, au large des côtes de la Guinée-Bissau,
en Afrique de l’Ouest. Bien plus qu’un simple phénomène
sédimentaire, cette découverte rebat les cartes de notre
compréhension de la formation de l’Atlantique et de ses liens avec
le climat global, il y a plus de 100 millions
d’années.
Des vagues de boue
sous-marines hautes comme la Tour Eiffel
Ces vagues colossales,
appelées vagues de sédiments ou « drifts de
contourites », mesurent jusqu’à 300 mètres de hauteur et plus
d’un kilomètre de longueur. Elles ont été repérées grâce à des
données sismiques croisées avec des carottages effectués dès les
années 1970. Mais leur importance historique et climatique n’a été
comprise que récemment, dans le cadre d’une étude parue dans
Global and Planetary Change.
Elles se sont formées
dans une zone appelée la Porte équatoriale de l’Atlantique, point
de jonction géologique entre l’Afrique et l’Amérique du Sud. Cette
« porte » est apparue lors de la séparation des continents du
supercontinent Gondwana, à l’époque mésozoïque, alors que les
dinosaures dominaient la Terre.
Une Atlantique plus
ancien qu’on ne le pensait
Jusqu’ici, les
scientifiques estimaient que cette ouverture décisive de
l’Atlantique remontait à environ 113 à 83 millions d’années. Mais
selon les nouvelles analyses, l’établissement de la connexion
marine aurait en réalité commencé vers 117 millions d’années. Une
correction de quelques millions d’années, certes, mais aux
conséquences majeures sur la compréhension du climat de
l’époque.
Car cette ouverture a
déclenché d’importants bouleversements dans la circulation des eaux
entre les bassins salés de l’Atlantique sud et les eaux plus douces
de l’Atlantique central. Résultat ? Une sorte de « cascade
sous-marine », provoquée par la différence de densité entre
ces masses d’eau, a sculpté ces gigantesques vagues de boue.

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Quand la tectonique
fait le climat
L’intérêt de cette
découverte dépasse largement la géologie marine. Elle révèle un
lien direct entre les mouvements des plaques tectoniques, la
circulation océanique, et le climat mondial. L’ouverture de la
Porte équatoriale aurait d’abord contribué à un réchauffement
climatique temporaire, en réduisant l’efficacité de stockage du
carbone dans les bassins émergents.
Mais, à mesure que la
connexion marine s’intensifiait, la circulation océanique globale
s’est stabilisée, permettant un refroidissement climatique durable
à la fin du Crétacé. En d’autres termes : cette « porte »
a joué un rôle clé dans la régulation climatique à l’échelle
planétaire.
Une leçon pour notre
avenir climatique
Comprendre comment
les circulations océaniques passées ont influencé le climat est
essentiel pour anticiper les effets du changement climatique
actuel. Comme le rappelle le chercheur Uisdean Nicholson, l’un des
auteurs de l’étude :
« Les courants
océaniques jouent un rôle clé dans la régulation des températures
mondiales. Les perturbations, comme celles provoquées aujourd’hui
par la fonte des calottes glaciaires, pourraient avoir de profondes
conséquences. »
Cette découverte est
un rappel saisissant : les grands équilibres planétaires sont
souvent régis par des mécanismes invisibles et profonds, parfois
enfouis depuis des millions d’années. Et c’est en les déchiffrant
que la science nous offre les clés pour comprendre — et peut-être
atténuer — les bouleversements à venir.