Un récent
rapport parlementaire tire la sonnette d’alarme : les désertions
dans l’armée de terre française sont en forte hausse. Derrière ce
phénomène discret mais préoccupant, se cachent deux causes
principales — l’immaturité croissante des jeunes recrues et des
sanctions trop peu dissuasives pour enrayer le mouvement. Un
cocktail explosif qui questionne la capacité des forces armées à
fidéliser ses effectifs.
Une génération désarmée face à
la réalité du terrain
Selon les données
communiquées par l’État-major des armées, le nombre de désertions a
connu une forte augmentation ces dernières années. En 2022, 1 485
militaires ont quitté les rangs sans autorisation, soit une hausse
de 56 % par rapport à 2021. L’année suivante, en 2023, le chiffre
est redescendu à 1 253 cas, marquant une légère baisse, mais
représentant tout de même une augmentation de 31 % par rapport au
niveau de 2021. Avant cette période de hausse, le phénomène restait
relativement stable, avec environ 900 désertions annuelles. Une
exception notable : l’année 2020, durant laquelle les départs
avaient diminué, probablement en lien avec les restrictions liées à
la crise du Covid-19.
Le rapport pointe du
doigt un facteur central : l’immaturité des nouvelles recrues.
L’armée attire chaque année des milliers de jeunes, souvent très
jeunes, pour qui l’engagement militaire est perçu comme un tremplin
ou une échappatoire. Mais le choc est brutal : la vie militaire
impose une discipline stricte, un cadre rigide, une hiérarchie
omniprésente — autant d’éléments qui déstabilisent des profils
parfois peu préparés psychologiquement.
L’origine de cette
dissonance ? Un imaginaire collectif façonné par les réseaux sociaux, les jeux vidéo
ou les films de guerre, qui présentent une image idéalisée — voire
héroïsée — du soldat, note le site spécialisé Armées.
Résultat : de nombreux engagés découvrent trop tard les exigences
du métier, et préfèrent abandonner avant même d’avoir achevé leur
formation.
Des punitions qui n’en sont
pas vraiment
Théoriquement, la
désertion est un acte grave, passible de sanctions lourdes pouvant
aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement. Mais dans les faits, la
justice militaire semble se montrer très conciliante. Peines avec
sursis, classements sans suite, absences de poursuites : les
déserteurs échappent bien souvent à toute conséquence tangible.
Cette relative
impunité contribue à banaliser l’acte de désertion. Pire : elle
crée un effet d’appel, où l’on quitte plus facilement ses fonctions
en sachant que les risques judiciaires sont minimes. Le rapport
parlementaire dénonce cette « indulgence systématique » et appelle
à une refonte du régime disciplinaire pour restaurer l’autorité de
l’institution.

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Une armée à la croisée des
chemins
Au-delà de la
question des sanctions, cette vague de désertions révèle un malaise
plus profond : celui de l’attractivité et de la fidélisation des
soldats. Repenser le recrutement, mieux accompagner l’entrée dans
la vie militaire, développer des dispositifs d’encadrement
psychologique dès les premières semaines d’engagement… Autant de
pistes évoquées pour endiguer cette crise silencieuse.
La question est
d’autant plus cruciale que l’armée de terre joue un rôle
stratégique majeur dans le contexte géopolitique actuel. Face à une
instabilité croissante aux frontières de l’Europe, à la
multiplication des opérations extérieures, et à la montée des
tensions mondiales, disposer d’effectifs stables, formés et motivés
est un impératif.
Un signal d’alerte pour toute
la société ?
L’affaire dépasse
même le cadre strictement militaire. Elle interroge aussi notre
rapport collectif à l’engagement, à l’autorité et aux institutions.
Dans un monde de plus en plus individualisé, où la contrainte est
souvent vécue comme une atteinte à la liberté personnelle, comment
continuer à faire vivre des structures fondées sur la rigueur, la
hiérarchie et le collectif ?
La multiplication des
désertions n’est peut-être pas seulement un problème de discipline.
C’est peut-être aussi un symptôme : celui d’un fossé grandissant
entre les attentes d’une jeunesse en quête de sens, et une
institution qui peine à se réinventer.