Au cœur de la
Voie lactée, un événement cosmique aussi spectaculaire qu’inattendu
vient de livrer un indice sur les forces extrêmes qui sculptent
notre galaxie. Grâce à des observations croisées en rayons X et en
ondes radio, des astronomes ont identifié une sorte de
« fracture » galactique dans un gigantesque filament
magnétique, provoquée — semble-t-il — par un pulsar fou lancé à des
millions de kilomètres par heure. Et si la comparaison avec une
fracture osseuse vous semble étonnante, elle est totalement
justifiée : les images captées ressemblent bel et bien à des radios
médicales d’un fémur brisé… sauf que ce fémur mesure 230
années-lumière de long.
Le Serpent, un filament géant
au cœur de la Voie lactée
Baptisé
G359.13 — ou plus
poétiquement le Serpent
— ce filament est l’un des plus longs et brillants jamais observés
au centre galactique. Il appartient à une étrange famille de
structures fines et droites, appelées parfois “os galactiques”.
Traversant la galaxie comme des fibres nerveuses, ces filaments
sont composés de particules chargées et de champs magnétiques
intenses, et jouent un rôle encore mal compris dans l’architecture
de la Voie lactée.
Mais voilà : sur les
dernières images captées par l’observatoire spatial Chandra (rayons
X) et le télescope radio sud-africain MeerKAT, le Serpent montre un
net plissement, comme un os cassé. La cause de cette anomalie ? Un
pulsar vagabond, identifié pile à l’endroit de la fracture.
Le coupable : un vestige
d’étoile en fuite
Les pulsars sont les noyaux ultra-denses laissés
après l’explosion d’étoiles massives en supernova. Ce sont des
étoiles à neutrons qui tournent à très haute vitesse, parfois
plusieurs centaines de fois par seconde, tout en émettant des
faisceaux d’ondes radio et de rayons X comme des phares
cosmiques.
Mais ce qui est
particulièrement intéressant ici, c’est que ce pulsar semble avoir
littéralement percuté le filament, déformant au passage son champ
magnétique et créant la « fracture » visible sur les
images. Il aurait traversé le Serpent à une vitesse estimée entre
un et deux millions de kilomètres par heure, selon l’étude publiée
dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society
en mai 2024.

Les os cosmiques près du centre de la galaxie. Rayons X :
NASA/CXC/Northwestern Univ./F. Yusef-Zadeh et al. ; Radio :
NRF/SARAO/MeerKat ; Traitement d’images : NASA/CXC/SAO/N.
Wolk.
Un impact qui laisse des
traces
La signature du
pulsar est double : d’une part, il émet ses propres rayons X
détectés par Chandra ; d’autre part, il produit une traînée de
particules ultra-énergétiques (électrons et positons) qui brouille
les émissions radio du Serpent. C’est cette anomalie magnétique et
lumineuse qui a mis les chercheurs sur sa piste.
Autrement dit : le
pulsar ne s’est pas contenté de passer à travers le filament. Il a
dérangé son architecture interne, modifiant les lignes de champ
magnétique comme un rocher jeté dans un ruisseau calme.
Une galaxie pleine de chocs
et de chaos
Cet événement est un
rappel saisissant que le centre de la Voie lactée n’est pas un lieu
paisible. Bien au contraire, c’est un environnement dense,
chaotique et hautement énergétique, où les collisions, fusions et
perturbations magnétiques sont monnaie courante.
L’étude du Serpent
déformé offre aux astronomes une nouvelle fenêtre sur les
dynamiques internes de la galaxie, et notamment sur la manière dont
les objets les plus extrêmes — comme les pulsars — peuvent
influencer des structures à très grande échelle.
Ce que nous apprend ce
« crash spatial »
Au-delà de la
découverte spectaculaire, l’événement illustre l’importance des
observations multi-instruments : sans la combinaison des rayons X
de Chandra et des ondes radio de MeerKAT, il aurait été impossible
de comprendre ce qui s’était passé dans ce coin reculé de la
galaxie.
Il montre aussi que
notre galaxie est vivante, mouvante, parfois brutale — et que même
des filaments qui semblent immuables depuis des millions d’années
peuvent être brusquement déformés par un visiteur cosmique lancé à
toute allure.