Ces dernières
années, les cartes de la santé mondiale sont en train de se
redessiner. Deux maladies jusqu’ici majoritairement cantonnées aux
zones tropicales – la dengue et le chikungunya – sont en train de
gagner du terrain en Europe. Et d’après une nouvelle étude publiée
dans The Lancet Planetary Health, ce n’est pas un simple
épisode passager : ces maladies pourraient bien devenir endémiques
sur le continent. En cause ? La progression du moustique tigre, leur principal
vecteur, favorisée par le réchauffement climatique.
Une menace venue du
sud, portée par le climat
La dengue et le
chikungunya sont des maladies virales transmises par des moustiques
du genre Aedes, en
particulier Aedes albopictus, surnommé moustique tigre. Originaire
d’Asie, il s’est implanté en Europe dans les années 2000, et ne
cesse depuis de remonter vers le nord. Ce phénomène est directement
lié à l’augmentation des températures, qui permet à ces insectes de
survivre et de se reproduire dans des régions jusqu’ici
inhospitalières.
L’étude analyse 35
ans de données issues de plusieurs pays européens, et met en
lumière un tournant : depuis 2010, la fréquence et l’ampleur des
épidémies ont nettement augmenté, en parallèle de l’évolution du
climat. Les chercheurs observent une corrélation nette entre la
hausse des températures et le nombre de cas déclarés.
Une hausse des cas
inédite en Europe
En 2024, année déjà
qualifiée de plus chaude jamais enregistrée, plus de 300 cas de
dengue ont été détectés dans l’Union européenne. C’est plus que le
total enregistré sur les quinze années précédentes réunies. Et
contrairement aux années passées, où les cas étaient presque
exclusivement importés de zones tropicales, plusieurs de ces
infections sont désormais autochtones, c’est-à-dire contractées
directement sur le territoire européen.
Des foyers ont été
identifiés dans plusieurs pays : France, Espagne, Italie, Croatie…
autant de régions qui deviennent des terrains favorables à la
reproduction du moustique vecteur et à la diffusion des virus qu’il
transporte.
Quant au chikungunya,
il a lui aussi montré des signes inquiétants de résurgence. L’île
de La Réunion, département français de l’océan Indien, a connu
récemment une flambée épidémique meurtrière, illustrant la capacité
du virus à réapparaître lorsque les conditions sont réunies.
Une bascule vers
l’endémicité
Les auteurs de
l’étude ne se contentent pas d’observer les tendances passées : ils
proposent aussi des projections jusqu’à 2060. Et celles-ci sont
préoccupantes. Si les émissions de gaz à effet de serre continuent
sur leur trajectoire actuelle, le nombre d’épidémies en Europe
pourrait être multiplié par cinq d’ici le milieu du siècle.
Ce scénario
signifierait que la dengue et le chikungunya ne seraient plus des
maladies saisonnières et localisées, mais des menaces sanitaires
permanentes, touchant un nombre croissant de régions
européennes.

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Crédits : Pawich Sattalerd/istock
Des disparités dans
la détection
L’étude pointe
également un biais important : les cas sont davantage signalés dans
les zones plus riches, où les capacités de diagnostic et de
surveillance sont plus efficaces. Ce déséquilibre laisse penser que
le nombre réel de cas est probablement sous-estimé, en particulier
dans les territoires moins dotés en infrastructures de santé
publique.
Notez également que
le moustique tigre est capable de transmettre d’autres virus que la
dengue ou le chikungunya. Il peut aussi véhiculer le virus Zika,
connu pour ses effets graves sur les fœtus, et le virus du Nil
occidental, qui peut provoquer des atteintes neurologiques. Ces
virus n’ont pas été abordés dans cette étude, mais leur potentiel
de diffusion en Europe suit une logique similaire.
Vers une nouvelle
stratégie de santé publique
Face à cette
évolution, les autorités sanitaires doivent repenser leur approche.
Ce n’est plus une simple question de prévention locale ou de lutte
contre un import ponctuel de virus : il s’agit désormais d’adapter
les systèmes de surveillance, d’améliorer la détection rapide des
cas, d’informer les populations sur les gestes de protection et,
surtout, de prendre en compte les conséquences sanitaires du
changement climatique à moyen et long terme.