On a longtemps
cru que dormir, c’était faire une pause. Pourtant, pendant que nous
sommes profondément endormis, notre cerveau reste étonnamment actif
— et notamment lorsqu’il rêve. Des études de plus en plus
nombreuses montrent que ces voyages nocturnes ne sont pas que des
films absurdes projetés par notre inconscient : ils jouent un rôle
clé dans l’apprentissage, la mémoire et même la résolution de
problèmes.
Le rêve, une activité cérébrale
intense
Le sommeil n’est pas
un bloc uniforme. Il se compose de plusieurs cycles, eux-mêmes
divisés en phases : sommeil léger, sommeil profond, puis sommeil
paradoxal — celui durant lequel nous rêvons le plus intensément.
Lors de cette phase, le cerveau affiche une activité électrique
presque comparable à l’état d’éveil, comme l’a démontré dès les
années 1950 le chercheur Eugene Aserinsky. C’est aussi le moment où
se produisent les mouvements rapides des yeux, ou REM (Rapid Eye
Movement), signe distinctif de cette période.
Mais à quoi servent
ces rêves ? Longtemps, les scientifiques n’avaient que des
hypothèses. Aujourd’hui, grâce aux avancées de l’imagerie
cérébrale, ils commencent à percer leurs secrets.
Un outil pour trier et fixer
les souvenirs
Une étude majeure
publiée dans Nature Neuroscience a montré que durant le
sommeil, le cerveau réactive certaines connexions neuronales
utilisées dans la journée. C’est ce que les chercheurs appellent la
consolidation
mnésique : un processus par lequel les souvenirs sont
transférés de la mémoire à court terme vers la mémoire à long
terme.
Autrement dit, ce que
vous avez appris dans la journée — un cours, un mouvement de danse,
une compétence linguistique — est « rejoué » et stabilisé
pendant que vous dormez. Et les rêves pourraient bien en être la
manifestation visible.
Chez les rongeurs,
par exemple, des études ont montré que certaines cellules de
l’hippocampe — zone impliquée dans la mémoire — s’activent pendant
le sommeil dans le même ordre qu’elles l’ont fait pendant une tâche
d’apprentissage. Le cerveau rejoue littéralement le film.
Le sommeil paradoxal :
booster de créativité
Mais ce n’est pas
tout. Le sommeil paradoxal, où surgissent les rêves les plus
bizarres, semble aussi favoriser la pensée créative. Une étude de l’université
de Californie (Cai et al., 2009) a révélé que des participants
ayant fait une sieste incluant du sommeil paradoxal réussissaient
mieux à résoudre des problèmes complexes. L’hypothèse : les rêves
permettent de faire des connexions inédites entre des idées
éloignées, en désactivant temporairement la logique stricte du
cortex préfrontal.
Pas étonnant que de
nombreux artistes et scientifiques aient trouvé l’inspiration en
dormant : Paul McCartney aurait « entendu » la mélodie de
Yesterday en rêve ; le
chimiste Auguste Kekulé aurait visualisé la structure du benzène
dans un songe où il voyait un serpent se mordre la queue.

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Et si l’on pouvait apprendre
en dormant ?
C’est une idée aussi
vieille que séduisante : apprendre une langue ou une formule
mathématique pendant le sommeil. Malheureusement, les études sont
formelles : le cerveau
endormi n’enregistre pas de nouvelles informations de manière
consciente.
Mais tout n’est pas
perdu. Des recherches comme celles menées par l’Institut Weizmann
en Israël (Arzi et al., 2012) ont montré que l’on pouvait
conditionner certains
apprentissages simples — par exemple associer une odeur à un son —
durant le sommeil. On ne peut donc pas apprendre l’allemand en
dormant, mais on peut peut-être renforcer ce qu’on a appris juste
avant de se coucher.
Dormir pour apprendre
mieux
Le message est clair
: si vous voulez retenir ce que vous apprenez, dormez suffisamment. Le manque de
sommeil nuit à la mémorisation, à la concentration et à la
plasticité cérébrale. C’est particulièrement vrai pour les
adolescents et jeunes adultes, chez qui les phases de sommeil
profond et paradoxal jouent un rôle clé dans la maturation
cognitive.
Et pas seulement la
nuit. Une courte sieste (20 à 90 minutes) peut améliorer
significativement la performance mentale, comme l’ont montré de
nombreuses études en neurosciences cognitives. À condition de
respecter le bon timing : trop longue, elle risque d’entraîner une
inertie du sommeil et de perturber le cycle nocturne.
En conclusion : rêver, c’est
bosser
Loin d’être une
simple parenthèse onirique, le rêve est un moment crucial où le
cerveau consolide les acquis, trie les informations, explore de
nouvelles pistes et prépare les apprentissages du lendemain. Il
nous aide à mieux nous souvenir, mieux créer, et parfois même à
mieux comprendre.
Alors la prochaine
fois que vous vous réveillez avec un rêve étrange en tête, ne le
balayez pas d’un revers de main : c’était peut-être votre cerveau
en pleine séance de révision nocturne.