Une étude
génomique internationale majeure vient de révéler un épisode
fascinant et méconnu de notre passé : la plus longue migration
préhistorique jamais documentée. Il s’agit du périple colossal
qu’ont accompli les premiers humains modernes,
depuis l’Asie du Nord jusqu’à la pointe sud de l’Amérique du Sud,
parcourant plus de 20 000 kilomètres. Cette prouesse incroyable
marque non seulement une étape clé dans l’expansion humaine sur la
planète, mais elle offre aussi un regard inédit sur les dynamiques
génétiques et adaptatives qui ont façonné nos
ancêtres.
Des origines africaines à la Terre de Feu : une
épopée humaine
Fruit d’une
collaboration entre 48 chercheurs issus de 22 institutions à
travers le monde, soutenue par le consortium GenomeAsia100K, cette
étude repose sur l’analyse approfondie des génomes de 1 537
individus appartenant à 139 groupes ethniques. En reconstituant les
trajectoires migratoires et les liens génétiques entre ces
populations, les scientifiques ont pu retracer un fil continu
depuis les premiers déplacements hors d’Afrique jusqu’aux terres
les plus reculées de l’Amérique.
Le cheminement de
cette migration débute en Afrique, berceau de l’humanité, traverse
l’Asie du Nord, et se prolonge jusqu’à la Terre de Feu, en
Argentine, l’extrémité sud du continent américain. Selon les
estimations de l’étude, les premiers migrants atteignirent la
limite nord de l’Amérique du Sud — à l’emplacement actuel du Panama
— il y a environ 14 000 ans.
Ces populations ont
dû faire face à des environnements extrêmement divers et souvent
hostiles : forêts tropicales, montagnes, déserts, zones glaciales…
Leur survie et leur installation durable témoignent d’une capacité
d’adaptation remarquable. « Nos résultats mettent en lumière
l’extraordinaire ingéniosité des premiers groupes autochtones qui
ont colonisé ces milieux variés », souligne Elena Gusareva,
première auteure de l’étude.
Au fil de cette
grande migration, la sélection naturelle et les mutations
génétiques ont sculpté la diversité et la résilience des
populations, comme en témoigne la variation des gènes liés au
système immunitaire. En effet, les chercheurs expliquent que les
migrants successifs n’ont emporté qu’un sous-ensemble restreint de
la diversité génétique originelle, ce qui a pu réduire leur
capacité à combattre certaines maladies.
La vulnérabilité face aux maladies : un héritage
génétique
Cette réduction de la
diversité génétique dans certaines populations autochtones explique
notamment leur plus grande vulnérabilité aux maladies introduites
ultérieurement par les colons européens. Comprendre ces dynamiques
anciennes est crucial pour mieux saisir les disparités en matière
de santé observées encore aujourd’hui.
« Le fait que les
premiers migrants aient transporté un patrimoine génétique plus
restreint a influencé leur système immunitaire, limitant leur
résistance face à des infections nouvelles », précise Kim Hie
Lim, co-auteur de l’étude.
Ainsi, au-delà de la
simple reconstitution historique, ce travail permet de mieux
comprendre comment l’évolution et l’histoire génétique impactent
directement la santé moderne des populations humaines.

Les chercheurs de la NTU et du SCELSE, comprenant le Dr Amit Gourav
Ghosh, chercheur associé, le Dr Elena S. Gusareva, chercheur
principal, le professeur associé Kim Hie Lim et le professeur
Stephan Schuster, avec les machines de séquençage d’ADN avancées du
SCELSE. Crédit : NTU Singapour
Une diversité génomique asiatique bien plus grande
que prévue
Par ailleurs, l’étude
remet en question une idée reçue persistante : la plus grande
diversité génétique humaine ne se trouve pas en Europe, mais en
Asie. Cette révélation découle d’un biais d’échantillonnage dans
les précédents grands projets de séquençage du génome.
« Notre travail
montre que les populations asiatiques recèlent une diversité
génétique plus riche que ce que l’on pensait, dépassant largement
celle des populations européennes », explique Stephan
Schuster, auteur principal.
Cette découverte est
d’une grande importance, notamment pour la médecine personnalisée
et la santé publique. Elle souligne la nécessité d’intégrer
davantage de données génétiques provenant de populations asiatiques
afin d’affiner les diagnostics, traitements et stratégies médicales
adaptées à la diversité humaine.
Une nouvelle fenêtre ouverte sur l’évolution
humaine
Grâce aux avancées
technologiques de séquençage haute résolution, les chercheurs ont
pu cartographier précisément les marqueurs génétiques transmis de
génération en génération. Cela leur a permis non seulement de
retracer les routes migratoires, mais aussi de comprendre comment
les populations se sont adaptées aux environnements extrêmes, tout
en préservant une certaine diversité génétique.
L’étude de cette
ancienne migration offre ainsi un aperçu inédit sur les mécanismes
évolutifs qui ont façonné le génome humain, en particulier dans les
populations d’Asie et d’Amérique. En révélant les empreintes
génétiques laissées par ces premiers colons, elle jette également
les bases d’une meilleure compréhension de la santé et de la
résilience des populations actuelles.