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Une étude révèle que les poissons sauvages sont capables de reconnaître des humains spécifiques

Une étude révèle que les poissons sauvages sont capables de reconnaître des humains spécifiques

  • mardi 25 février 2025
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De plus en plus d’espèces sont admises dans le club des animaux intelligents, mais avec leur cerveau minuscule, les poissons sont souvent recalés à l’entrée. Ils n’ont surtout a priori aucune raison d’avoir développé la capacité de reconnaître des humains au cours de son évolution. Pourtant, certains poissons ont intrigué une équipe de scientifiques qui travaillait dans une station de recherche en mer Méditerranée. Chaque saison, sur le terrain, certains spécimens locaux semblaient suivre une équipe de plongeurs scientifiques, et notamment celui chargé de transporter la nourriture utilisée comme récompense dans le cadre d’expériences en milieu marin. L’équipe a alors suspecté que ces animaux reconnaissaient ce plongeur en particulier puisqu’ils ne suivaient que cette personne et ignoraient totalement les autres. Mais s’agissait-il d’une véritable reconnaissance ou d’une simple coïncidence ?


Armés de toute leur curiosité, des chercheurs de l’Institut Max Planck spécialisé en comportement animal en Allemagne ont mené une série d’expériences afin de déterminer si les poissons sauvages étaient réellement capables de différencier les humains. Jusqu’à présent, peu de preuves scientifiques démontraient que ces animaux en étaient capables. Une espèce élevée en captivité, le poisson archer, avait certes montré cette aptitude dans un laboratoire en identifiant des images informatiques de visages humains. Toutefois, qu’en était-il en milieu naturel ?

Maëlan Tomasek, doctorant à l’Institut Max Planck et co-premier auteur de l’étude, explique : « Personne ne s’était jamais demandé si les poissons sauvages avaient la capacité ou même la motivation de nous reconnaître lorsque nous pénétrons dans leur monde sous-marin. » Les résultats de cette étude, publiée le 18 février dans la revue Biology Letters, montrent pourtant que les poissons en milieu naturel peuvent bel et bien distinguer les humains en se basant sur des indices visuels externes.

Phase 1 : l’entraînement des poissons

Les expériences ont été réalisées à une profondeur de huit mètres en pleine mer, dans une zone où certaines populations de poissons sauvages sont habituées à la présence humaine. Selon Katinka Soller, co-auteure de l’étude et doctorante à l’Institut Max Planck, ces spécimens étaient « des volontaires consentants, libres de venir et repartir à leur guise ». La première phase expérimentale consistait en un entraînement pour tester si ces animaux pouvaient apprendre à suivre Soller. Pour attirer leur attention, elle portait au départ un gilet rouge vif et parcourait une distance de 50 mètres à la nage. Progressivement, elle retirait ces repères visuels jusqu’à ne garder que son équipement de plongée standard tout en dissimulant la nourriture. Elle ne nourrissait les poissons qu’après qu’ils l’aient suivie sur l’intégralité du trajet.


Parmi les dizaines d’espèces de poissons qui vivaient près de la station marine, deux espèces de dorades ont particulièrement bien réagi à cet entraînement, et surpris l’équipe par sa curiosité et sa capacité d’apprentissage. « Dès que j’entrais dans l’eau, il ne fallait que quelques secondes avant que je ne les voie nager vers moi, semblant surgir de nulle part », se rappelle Soller. Les mêmes poissons revenaient jour après jour pour participer aux séances au point que la chercheuse leur a donné des noms. « Il y avait Bernie, qui avait deux écailles argentées brillantes sur le dos, et Alfie, qui avait une entaille sur la nageoire caudale », précise-t-elle.

Bernie, l'un des poissons étudiés Behavioural Evolution Lab - MPI-AB
Bernie, l’un des poissons étudiés. Crédits : Behavioural Evolution Lab/MPI-AB

Après seulement douze jours d’entraînement, une vingtaine de poissons suivaient systématiquement Soller lors des trajets de 50 mètres, ce qui a ouvert la voie à la deuxième phase de l’expérience.

Phase 2 : tester la reconnaissance humaine chez les poissons

L’étape suivante consistait à déterminer si ces mêmes poissons pouvaient distinguer Katinka Soller de Maëlan Tomasek, un autre plongeur et co-auteur de l’étude. Au début, l’équipement de ce dernier était très différent grâce à des parties colorées sur sa combinaison et ses palmes. Les deux plongeurs commençaient au même point et nageaient dans des directions opposées, mais seule Soller distribuait de la nourriture.


Le premier jour, les poissons ont suivi les deux plongeurs de manière égale. Toutefois, dès le deuxième jour, le nombre de poissons qui suivait Soller augmentait significativement. Les chercheurs se sont alors concentrés sur six individus en particulier et ont constaté que ces derniers montraient des courbes d’apprentissage très positives. Les poissons semblaient donc capables de distinguer les deux plongeurs et de tester chacun d’eux afin d’identifier lequel leur procurait une récompense. Cependant, lorsque les chercheurs ont répété l’expérience avec un équipement de plongée identique pour les deux plongeurs, les poissons n’ont plus su les différencier.

Les plongeurs avec des équipements différents et similaires pour tester les poissons
Les plongeurs avec des équipements différents (à gauche) et similaires (à droite). Crédits : MPI of Animal Behavior/ Behavioural Evolution Lab

Une vision des couleurs efficaces

Les chercheurs en ont déduit que les animaux associaient les différences de tenue de plongée, et notamment les couleurs, à chaque individu. « Presque tous les poissons ont la vision des couleurs, donc il n’est pas surprenant que la dorade ait appris à identifier le bon plongeur grâce à certaines teintes sur son corps », explique Tomasek. « Nous les avons même vus s’approcher de nos visages et examiner attentivement nos corps. C’était comme s’ils nous étudiaient, et non l’inverse », s’amuse Soller. Elle précise aussi que les humains ont tendance à faire la même chose sous l’eau, car les masques de plongée déforment les visages. Ce sont donc souvent les différences entre les palmes, les combinaisons et les masques qui nous permettent de reconnaître une personne sous l’eau.

Ce n’est pas vraiment une surprise après tout

Avec plus de temps, les poissons pourraient peut-être apprendre à repérer d’autres caractéristiques humaines, comme les mains ou les cheveux. Les chercheurs estiment aussi que d’autres espèces de poissons pourraient être capables d’identifier des motifs précis. Cette étude révèle ainsi surtout que les poissons possèdent des capacités cognitives bien plus complexes qu’on ne le pensait. Ils peuvent apprendre, mémoriser et distinguer les humains, ce qui démontre une forme d’intelligence. Ces découvertes remettent ainsi en question notre vision anthropocentrée du monde animal et nous invitent à repenser notre relation avec d’autres espèces.


Le professeur Alex Jordan, auteur principal de l’étude et responsable du groupe de recherche à l’Institut Max Planck, souligne que cela ne le « surprend pas du tout que ces animaux qui évoluent dans un monde complexe et interagissent avec d’innombrables espèces chaque minute puissent reconnaître les humains grâce à des indices visuels. Ce qui est surprenant, c’est que nous soyons surpris qu’ils en soient capables. Cela montre que nous sous-estimons peut-être les capacités de nos cousins sous-marins. »

Et Maëlan Tomasek de conclure : « Il peut sembler étrange d’imaginer un lien entre les humains et un poisson, un animal si éloigné de nous sur l’arbre de l’évolution que nous avons du mal à le comprendre intuitivement. Toutefois, les relations entre les humains et les animaux peuvent dépasser des millions d’années de divergence évolutive, à condition que nous prenions le temps d’y prêter attention. Maintenant que nous savons qu’ils nous voient, il est temps pour nous de les voir aussi. »

Vous pouvez consulter cette étude passionnante ici.

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