Une découverte
au Brésil réécrit une partie de l’histoire des insectes. Dans les
couches géologiques de la formation du Crato, un fossile
extraordinairement bien conservé révèle une espèce de fourmi jamais
vue auparavant. Son nom : Vulcanidris cratensis. Son âge : 113 millions d’années.
Son apparence : digne d’un film de science-fiction. Et selon les
scientifiques, elle pourrait bien être la plus ancienne fourmi
connue à ce jour. Mais ce n’est pas seulement son âge qui intrigue.
Ce fossile exceptionnel appartient à une mystérieuse famille
disparue : celle des fourmis de l’enfer, un groupe d’insectes
prédateurs dotés d’un arsenal morphologique
spectaculaire.
Une ancêtre sortie du
Crétacé
La fourmi fossilisée
a été mise au jour dans les roches du nord-est du Brésil, dans une
région connue pour son incroyable richesse paléontologique : la
formation de Crato, un ancien bassin lacustre datant de l’époque du
Crétacé inférieur. Les
chercheurs l’ont retrouvée non pas dans de l’ambre, comme la
plupart des fourmis fossiles connues, mais directement dans de la
roche sédimentaire – un fait rare et précieux qui permet une
datation très précise.
Ce spécimen aurait
vécu il y a 113 millions d’années, soit bien avant les autres
fossiles de fourmis précédemment identifiés (datant d’environ 99 à
100 millions d’années).
Un nom infernal pour une
créature prédatrice
Le surnom “fourmi de
l’enfer” n’est pas une simple exagération journalistique. Il
désigne une sous-famille aujourd’hui disparue, les Haidomyrmecinae, dont les spécimens
arborent des traits tout droit sortis d’un cauchemar : des
mâchoires en forme de faux, recourbées vers le haut, capables
d’attraper des proies par en dessous et de les empaler contre des
excroissances situées au-dessus de la bouche. Un mécanisme unique
dans le règne des insectes.
Et Vulcanidris cratensis n’échappe pas à
cette esthétique infernale. Bien qu’il s’agisse d’un très ancien
représentant du groupe, ses caractéristiques anatomiques étaient
déjà hautement spécialisées, laissant penser que les fourmis ont
évolué très rapidement après leur apparition, en développant très
tôt des stratégies de prédation sophistiquées.
Des indices cachés dans la
pierre
Ce fossile n’est pas
une découverte de terrain récente : il dormait dans une collection
du Musée zoologique de l’Université de São Paulo, au Brésil. C’est
en l’étudiant de plus près que le paléontologue Anderson Lepeco et
son équipe ont réalisé l’importance du spécimen. Grâce à des outils
modernes d’imagerie comme la microtomographie, ils ont pu examiner
l’anatomie interne de l’insecte sans l’endommager, confirmant ainsi
son appartenance au redoutable groupe des fourmis de l’enfer.
Ce détail souligne un
point essentiel en science : parfois, les grandes découvertes ne
nécessitent pas de nouvelles expéditions lointaines, mais
simplement un regard neuf sur ce que nous possédons déjà.

Une illustration de ce à quoi cette ancienne espèce de fourmi
aurait pu ressembler. Crédit image : Diego Matiello
Un réseau mondial bien plus
ancien qu’on ne le pensait
Jusqu’à présent, les
fossiles de fourmis de l’enfer avaient été retrouvés dans de
l’ambre en Asie, en Europe et en Amérique du Nord. Leur présence au
Brésil, et surtout à une époque aussi reculée, démontre que ces
fourmis étaient déjà réparties sur plusieurs continents bien plus
tôt que prévu.
Cela implique aussi
que les fourmis, en tant que groupe, se sont diversifiées et
adaptées rapidement après leur émergence évolutive, probablement à
partir d’ancêtres proches des guêpes, il y a environ 140 millions
d’années.
Un monde d’insectes encore
largement à explorer
Aujourd’hui, les
fourmis modernes sont partout, des déserts aux forêts tropicales,
et comptent plus de 12 000 espèces connues. Mais leurs origines
restent en partie mystérieuses. Chaque fossile retrouvé est un
morceau du puzzle, et celui de Vulcanidris cratensis nous permet d’en assembler un peu
plus – tout en nous donnant envie d’en chercher d’autres.
Elle montre que ces
insectes étaient déjà largement répandus sur la planète à l’époque
du supercontinent Gondwana.
Les détails de l’étude sont
publiés dans la revue Current Biology.