Vous est-il déjà arrivé qu’on vous demande : « de quoi avez-vous rêvé la nuit dernière ? » et de ne rien pouvoir répondre (ou seulement de vagues fragments sans aucun sens d’un rêve ou d’un cauchemar particulièrement effrayant) ? Cela concerne environ une personne sur quatre. A contrario, d’autres se réveillent en se souvenant de leur rêve dans les moindres détails. Cette différence intrigante fascine les scientifiques depuis des décennies. Une nouvelle étude publiée dans la revue Communications Psychology explore les mécanismes et les facteurs qui influencent la mémoire des rêves.
Ceux qui se souviennent de leurs rêves… et ceux qui en sont incapables
Comprendre pourquoi certains se souviennent mieux de leurs rêves a longtemps été un mystère pour les chercheurs. Les premières études des années 1950 se concentraient principalement sur le sommeil paradoxal (REM), caractérisé par des mouvements oculaires rapides et des rêves intenses. Les scientifiques pensaient alors avoir élucidé le mystère en associant les rêves exclusivement à cette phase. Cependant, des recherches ultérieures ont révélé que des rêves se produisent aussi durant les phases de sommeil non paradoxal, bien qu’ils soient généralement moins vivaces et plus difficiles à mémoriser.
D’anciennes études avaient également déjà suggéré que les jeunes, les femmes et les personnes enclines à la rêverie étaient plus susceptibles de se souvenir de leurs songes. Toutefois, ces résultats restaient controversés et il avait été impossible d’établir clairement si des éléments tels que la personnalité ou les capacités cognitives jouaient un rôle réel dans ce phénomène. Récemment, la pandémie de COVID-19 a en tout cas ravivé l’intérêt pour cette question. De nombreuses personnes ont en effet signalé des rêves plus intenses et fréquents, ce qui a soulevé des discussions sur l’impact du stress, des changements de mode de vie et des perturbations du sommeil sur la songerie.
Une étude pour y voir plus clair
Pour explorer ce phénomène plus en profondeur, des chercheurs de l’École IMT des hautes études de Lucques (Italie) en collaboration avec l’Université de Camerino ont mené une étude sur 217 participants âgés de 18 à 70 ans entre mars 2020 et mars 2024. Selon le résumé de l’étude, les chercheurs ont recueilli des récits de rêves, des informations démographiques ainsi que des mesures psychométriques, cognitives, actigraphiques et électroencéphalographiques chez ces adultes.
Concrètement, pendant quinze jours, les participants ont enregistré leurs souvenirs de rêves au réveil à l’aide d’un dictaphone. Parallèlement, les chercheurs ont utilisé un actigraphe (un bracelet de surveillance du sommeil qui mesure la durée, l’efficacité et les perturbations du sommeil) pour analyser la qualité du sommeil des participants et leur ont fait passer des tests psychométriques pour évaluer leurs capacités cognitives. Chaque matin, les volontaires devaient indiquer s’ils se souvenaient clairement d’un rêve, s’ils en avaient une vague impression sans détails précis ou s’ils n’avaient aucun souvenir. Un sous-groupe de 50 participants portait également un bandeau spécial muni d’électrodes afin d’enregistrer leur activité cérébrale pendant le sommeil.

Alors, quels sont les facteurs qui influencent la mémoire des rêves ?
Si les résultats de l’étude montrent effectivement une fréquence plus élevée du souvenir des rêves chez les femmes, la capacité à se souvenir des rêves semble varier considérablement en fonction de plusieurs autres facteurs importants.
L’état d’esprit
L’état d’esprit joue notamment un rôle clé : les personnes qui ont une attitude positive envers leurs rêves s’en souviennent en effet mieux. Les chercheurs ont compris cela lorsqu’ils ont proposé un questionnaire aux participants où ils devaient évaluer leur accord avec des affirmations telles que : « Les rêves sont un bon moyen de mieux comprendre mes véritables sentiments » ou « Les rêves ne sont que des absurdités produites par le cerveau ». Or, ceux qui considéraient leurs rêves comme significatifs et dignes d’attention avaient une meilleure mémoire onirique que ceux qui les percevaient comme un simple bruit de fond cérébral.
Être un brin rêveur en journée
Une tendance à la rêverie diurne s’est révélée être un autre facteur déterminant. En utilisant un questionnaire standardisé qui mesurait la fréquence des pensées spontanées, les chercheurs ont découvert que les participants qui ont souvent l’esprit qui vagabonde pendant toute la journée étaient plus susceptibles de se rappeler leurs rêves. Ce lien est logique, car la rêverie diurne et le rêve nocturne impliquent des réseaux cérébraux similaires, en particulier ceux liés à l’introspection et à la construction d’expériences mentales internes.
La structure du sommeil a également un impact direct
Les personnes qui avaient des périodes prolongées de sommeil léger et moins de sommeil profond (appelé sommeil N3) se souvenaient mieux de leurs rêves. En effet, durant le sommeil profond, le cerveau produit de grandes ondes lentes qui facilitent la consolidation de la mémoire, mais qui peuvent en revanche rendre la génération ou la mémorisation des rêves plus difficile. À l’inverse, le sommeil léger maintient une activité cérébrale plus proche de l’état d’éveil, ce qui facilite potentiellement la formation et la rétention des souvenirs oniriques, les dormeurs étant plus à risque de se réveiller en plein songe.
L’âge, un facteur clairement identifié ici
L’âge des participants semble aussi jouer un rôle décisif. Si les plus jeunes se souvenaient généralement mieux des contenus précis de leurs rêves, les personnes plus âgées déclaraient plus souvent avoir fait des rêves blancs (à savoir cette sensation frustrante que l’on ressent lorsque l’on sait pertinemment que l’on a rêvé sans toutefois parvenir à se rappeler les détails). Ce schéma lié à l’âge suggère que le processus cérébral de mémorisation des songes évolue au fil du temps.
Des influences sur les rêves plus étonnantes
Ces recherches montrent que la saisonnalité influerait elle aussi sur la mémoire des rêves. L’étude révèle effectivement que les souvenirs de rêves sont plus fréquents au printemps et en automne qu’en hiver. Bien que la raison exacte demeure floue, ce phénomène ne s’explique en tout cas apparemment pas par des changements dans les habitudes de sommeil. Les scientifiques émettent cependant l’hypothèse que les variations saisonnières de l’exposition à la lumière et de l’environnement modifient la chimie cérébrale, notamment en affectant les rythmes circadiens, ce qui pourrait influencer la formation ou la remémoration des rêves.

Pourquoi ce type d’étude est-il important ?
Cette étude rappelle que se souvenir de ses rêves n’est pas un hasard, « mais le reflet de l’interaction entre les attitudes personnelles, les traits cognitifs et la dynamique du sommeil », explique Giulio Bernardi, professeur de psychologie générale à l’École IMT et auteur principal de l’étude, qui ajoute que « ces découvertes approfondissent notre compréhension des mécanismes du rêve et ouvrent des perspectives pour explorer son rôle dans la santé mentale et la conscience humaine ».
Établir un lien entre la mémoire des rêves et la santé mentale pourrait notamment offrir de nouvelles pistes d’étude sur la conscience et le traitement émotionnel durant le sommeil. Actuellement, les rêves sont généralement considérés comme une fenêtre sur des processus liés au sommeil, tels que l’apprentissage et la consolidation de la mémoire. Or, des modifications dans la fréquence ou le contenu des rêves pourraient être associées aux premiers stades de troubles psychiatriques et neurologiques, ce qui suggère que l’analyse des schémas oniriques pourrait aider à détecter précocement certains problèmes de santé mentale. Au-delà de l’intérêt scientifique, cette recherche pourrait ainsi plus globalement offrir de nouvelles perspectives cliniques. « Les données recueillies dans le cadre de ce projet serviront de référence pour de futures comparaisons avec des populations cliniques », précise Valentina Elce, chercheuse à l’IMT et également autrice de l’étude.
De nombreuses questions restent en suspens, mais cette étude participe en tout cas à continuer à percer les mystères de l’esprit et prouve une fois encore que le rêve est une expérience profondément personnelle influencée à la fois par la biologie et le comportement. Et plus nous en apprenons sur nos songes, plus nous nous approchons de la compréhension du monde caché qu’il recèle.
Se souvenir de ses rêves : une capacité qui s’apprend et se travaille

Si vous faites partie des personnes qui peinent à se remémorer le contenu de leurs nuits, vous pouvez essayer de suivre certaines étapes pour vous aider à en garder une vision plus claire au moment de l’éveil. Avant de dormir, il est notamment d’abord conseillé de se répéter mentalement l’intention de se souvenir de ses rêves en faisant de cette pensée la dernière de la journée.
Au réveil, il est par ailleurs préférable d’éviter de se lever brusquement ou de se distraire immédiatement (avec son téléphone par exemple). Mieux vaut rester immobile quelques instants et essayer de se remémorer les sensations ou images qui traversent son esprit. Tenir un journal des rêves peut aussi être utile. Noter ses impressions dès le réveil, même sous forme de mots-clés ou de fragments d’images, aide en effet à ancrer les souvenirs et entraîne le cerveau à se concentrer sur ces moments fugaces. Même si aucun souvenir spécifique ne semble présent, un simple détail pourrait finalement suffire à raviver la mémoire d’un rêve enfoui.
Avec le temps et en suivant ces étapes, votre mémoire vous jouera sans doute moins des tours lorsque votre réveil sonnera.
L’étude complète est disponible sur ce lien.