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Les fausses recherches scientifiques : cette menace invisible qui gangrène le savoir

Les fausses recherches scientifiques : cette menace invisible qui gangrène le savoir

  • vendredi 7 février 2025
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Depuis quelques années, un phénomène insidieux ronge les fondements mêmes de la science : la prolifération des fausses recherches. Ces études frauduleuses, produites à la chaîne par des réseaux clandestins surnommés usines à papier, envahissent les revues scientifiques, manipulant les faits et détournant la quête du savoir à des fins lucratives. Derrière cette industrie du faux, il y a des chercheurs sous pression, des éditeurs complaisants et des millions de lecteurs trompés. Le problème est vaste, les conséquences sont graves. En effet, ces publications ne sont pas de simples erreurs : elles orientent les politiques de santé, influencent les traitements médicaux et détournent l’argent de la recherche légitime. Plus inquiétant encore, elles sapent la confiance du public envers la science, à l’heure où celle-ci est plus nécessaire que jamais.


Un marché du mensonge scientifique

On imagine souvent la science comme un monde rigoureux où chaque découverte est passée au crible par des experts avant d’être validée. En théorie, c’est le cas. En pratique, la course aux publications et la pression du publier ou périr poussent certains chercheurs à tricher et d’autres à acheter leurs études clés en main.

C’est là qu’interviennent les usines à papier. Ces entreprises clandestines fabriquent des articles de toutes pièces ou recyclent d’anciens travaux en les modifiant légèrement pour leur donner l’apparence d’études originales. Elles vendent ensuite ces articles à des chercheurs en quête de publications rapides qui les soumettent à des revues parfois peu regardantes. En échange de quelques milliers d’euros, un scientifique peut ainsi voir son nom apposé sur une étude bidon, publiée dans une revue qui lui offrira une légitimité dont il a besoin pour progresser dans sa carrière.

Certaines usines à papier vont encore plus loin en créant de faux relecteurs : elles soumettent des articles en proposant des évaluateurs complices qui valident automatiquement les publications sans véritable contrôle. D’autres modifient des images, falsifient des résultats ou manipulent des tableaux de données. Un travail d’orfèvre… au service du mensonge.


Près de 120 000 articles de revues scientifiques et actes de conférence sont publiés chaque semaine dans le monde (soit plus de six millions par an). Or, les éditeurs estiment que dans la plupart des revues, environ 2 % des articles soumis sont probablement faux.

Des conséquences bien réelles des fausses recherches

Ce trafic de publications pourrait prêter à sourire s’il n’avait pas des répercussions dramatiques. Lorsqu’une fausse étude est publiée, elle n’est pas isolée : elle est lue, partagée, citée par d’autres chercheurs. Elle s’insère dans le corpus scientifique, ce qui influence potentiellement des années de recherche.

Dans le domaine médical, l’impact est particulièrement préoccupant. Certaines études frauduleuses ont orienté à tort des recherches sur le cancer et induit en erreur des scientifiques qui s’appuyaient en toute bonne foi sur des données erronées. Lors de la pandémie de COVID-19, des études de faible qualité ou manifestement truquées ont alimenté la controverse sur certains traitements et semé la confusion jusque dans le débat public.


Et puis, il y a la confiance. La science repose sur un contrat implicite : elle doit être fiable. Lorsqu’un scandale éclate, lorsqu’une étude est rétractée après avoir été citée des centaines de fois, c’est ainsi la crédibilité de l’ensemble du système qui vacille. Dans un monde où les théories complotistes prospèrent sur le moindre doute, chaque faille dans l’intégrité scientifique est une brèche dans laquelle la désinformation s’engouffre.

recherches scientifiques
Les fausses recherches contaminent la littérature scientifique mondiale. Crédits : gorodenkoff/iStock

Peut-on encore faire confiance à la science ?

Face à cette menace, la riposte s’organise. Des outils numériques ont été développés pour traquer les articles suspects. Des algorithmes comme Problematic Paper Screener scannent des millions d’études pour repérer les schémas douteux, tandis que des plateformes comme Retraction Watch recensent les articles rétractés afin d’éviter qu’ils ne continuent d’être cités.

Néanmoins, la lutte est complexe. Certaines revues tardent à retirer des articles frauduleux par peur de ternir leur réputation ou tout simplement par manque de moyens pour mener des enquêtes approfondies. D’autres, plus cyniques, ferment les yeux sur certaines fraudes tant que le business est florissant.


Pour espérer endiguer ce fléau, il faudrait repenser en profondeur le modèle de la publication des recherches scientifiques. Il sera notamment essentiel de mieux encadrer l’évaluation par les pairs en rémunérant les relecteurs pour garantir un travail rigoureux et d’encourager la transparence en rendant accessibles les données des recherches pour permettre à d’autres scientifiques de vérifier les résultats. Il sera aussi nécessaire de changer la manière dont les chercheurs sont évalués en ne mesurant plus leur mérite uniquement au nombre de publications, mais à l’impact réel de leurs travaux.

La science est un outil précieux ; elle éclaire notre monde, nous aide à comprendre les mystères de la nature et à repousser les limites du possible. Toutefois, pour qu’elle conserve son pouvoir, elle doit rester digne de confiance. Protéger l’intégrité du savoir, c’est défendre la science contre ceux qui voudraient la transformer en un simple commerce de l’illusion.

Cet article est une version condensée d’une enquête complète signée du journaliste Frédéric Joelving, en collaboration avec les informaticiens français Cyril Labbé et Guillaume Cabanac, qui a duré six mois. Pour en savoir plus, lisez la version complète.

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