Au lycée, nous avons tous croisé le fameux
tableau périodique des éléments : cette carte ordonnée qui regroupe
les atomes selon leurs propriétés chimiques. Mais que se
passerait-il si on appliquait ce principe à l’intelligence
artificielle ? C’est exactement ce qu’a tenté – et réussi – une
équipe du MIT. Leur projet ? Construire un tableau… des algorithmes
d’IA.
Trouver l’unité derrière la
diversité des IA
À première vue, les
algorithmes d’intelligence
artificielle semblent évoluer chacun dans leur propre monde.
Certains servent à regrouper des images similaires (clustering),
d’autres à compresser des données complexes (réduction de
dimensionnalité), à reconnaître des visages (classification
supervisée), ou à imiter le cerveau humain dans la reconnaissance
d’objets (apprentissage contrastif). Cette diversité donne
l’impression d’un écosystème fragmenté, où chaque méthode obéit à
ses propres règles.
Mais une doctorante du MIT, Shaden Alshamarri, a repéré
un fil conducteur inattendu : un cadre mathématique commun baptisé
I-Con, pour Information-Contrastive learning. Il ne s’agit pas d’un
nouvel algorithme, mais d’une fonction de perte — une formule
mathématique qui guide l’apprentissage d’un modèle en mesurant à
quel point il se trompe, et comment il peut s’améliorer.
Ce qui rend I-Con
remarquable, c’est sa capacité à révéler des similitudes profondes
entre des méthodes apparemment très différentes. En comparant la
manière dont les algorithmes apprennent à relier des points de
données, l’équipe du MIT a montré qu’un grand nombre d’entre eux
partagent une logique mathématique commune. Là où l’on voyait une
mosaïque d’approches isolées, I-Con trace des ponts et dessine une
structure unifiée.
Une inspiration venue… du
tableau périodique
À mesure que les
chercheurs exploraient les ramifications de I-Con, une idée
originale a émergé : et si l’on représentait les algorithmes d’IA
comme les éléments chimiques du tableau de Mendeleïev ? Cette
métaphore visuelle, bien connue du grand public, s’est imposée
naturellement. Tout comme les atomes sont regroupés selon leurs
propriétés, les algorithmes peuvent être organisés selon les
structures mathématiques qu’ils partagent via I-Con.
C’est ainsi qu’est
née une carte algorithmique de l’intelligence artificielle, dans
laquelle chaque case correspond à un algorithme courant — du
k-means au t-SNE, en passant par les autoencodeurs ou la régression
logistique. Leurs positionnements mettent en lumière des groupes de
parenté : certains se rapprochent par leur façon de comparer des
données, d’autres par leur manière de les organiser ou de les
condenser.
Comme dans le tableau
périodique des éléments, certains espaces sont laissés vides : ils
représentent des approches encore inconnues, mais que la logique de
I-Con laisse entrevoir. L’équipe espère que cette structuration
stimulera la recherche de nouveaux modèles, tout comme la chimie a
su prédire l’existence d’éléments avant leur découverte.

Crédit :
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Crédits : metamorworks/istock
Un cerveau dans la
machine
À la base de ce
travail, on trouve une famille d’algorithmes baptisée apprentissage
contrastif, directement inspirée du fonctionnement du cerveau
humain. Plus précisément, du cortex visuel, capable de catégoriser
les objets par comparaison. Un modèle entraîné à l’apprentissage
contrastif apprend ainsi à reconnaître un chat, non pas en
l’identifiant de manière absolue, mais en notant qu’il ressemble
plus à un autre chat… qu’à une chaise.
Cette capacité à
évaluer les ressemblances ou différences entre objets visuels est
cruciale dans des domaines comme la reconnaissance d’image. En
démontrant que d’autres méthodes, comme le clustering ou la
classification supervisée, reposaient elles aussi sur des variantes
de cette même logique, l’équipe du MIT a pu établir des
correspondances jusque-là insoupçonnées.
Une nouvelle carte pour
penser l’IA
Ce projet ne se
limite pas à un simple classement d’algorithmes. Il propose une
nouvelle grille de lecture pour l’intelligence artificielle. Plutôt
que de considérer chaque méthode comme une boîte noire, il invite à
voir des connexions, des structures sous-jacentes, et une logique
commune.
Pour les chercheurs,
c’est un outil pour naviguer dans la complexité croissante de l’IA.
Pour les ingénieurs, un moyen d’optimiser ou de combiner les
approches. Et pour la communauté scientifique, une étape vers une
formalisation plus élégante et cohérente des principes qui
sous-tendent les systèmes intelligents.
Une carte inachevée, mais
prometteuse
Comme toute bonne
théorie scientifique, ce tableau est appelé à évoluer. Les
chercheurs eux-mêmes admettent qu’il est incomplet, mais espèrent
qu’il pourra devenir une base commune pour penser, tester et
améliorer les algorithmes à venir.
« Nous pensons que
les résultats présentés dans ce travail ne représentent qu’une
fraction des méthodes potentiellement unifiables avec I-Con »,
écrivent-ils. Autrement dit, cette carte est une version 1.0 — une
esquisse ambitieuse d’un continent algorithmique encore largement
inexploré.