Ces dernières décennies ont été synonymes d’une augmentation de la longévité qui s’explique principalement par les avancées médicales, l’amélioration des conditions de vie et une meilleure prévention des maladies. La généralisation des vaccins, l’accès facilité aux soins ainsi que les progrès dans le traitement des maladies chroniques ont notamment considérablement réduit la mortalité précoce. Toutefois, une nouvelle étude laisse présager un horizon plus sombre pour certains pays. Selon une nouvelle étude, l’amélioration de l’espérance de vie est en train de stagner à travers l’Europe, et l’Angleterre connaît le ralentissement le plus marqué. Si le réchauffement climatique laisse déjà présager des millions de morts, les experts attribuent quant à eux cette situation à un mélange alarmant de mauvaise alimentation, d’inactivité et d’obésité en hausse.
Des progrès notables en matière d’espérance de vie
Cette étude, dirigée par l’Université d’East Anglia, a analysé l’évolution de l’espérance de vie dans vingt pays européens entre 1990 et 2021. Elle inclut l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Finlande, la France, l’Allemagne, la Grèce, l’Islande, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, l’Espagne et la Suède ainsi que les nations du Royaume-Uni (l’Angleterre, l’Écosse, le pays de Galles et l’Irlande du Nord). Dans l’ensemble de ces pays, les Européens ont gagné en moyenne 0,23 an de longévité par an entre 1990 et 2011 grâce à la diminution des décès liés aux maladies cardiovasculaires et aux cancers. Autrement dit, chaque année pendant deux décennies, les personnes pouvaient espérer vivre presque trois mois de plus que celles nées l’année précédente.
Une espérance de vie en ralentissement après des années de progression
« Les progrès en santé publique et en médecine au XXe siècle ont permis une amélioration continue de l’espérance de vie en Europe, mais ce n’est plus le cas », déplore Nick Steel, professeur à l’Université d’East Anglia et principal auteur de l’étude. En effet, selon les résultats publiés dans la revue The Lancet Public Health, la croissance annuelle moyenne de la durée de vie à travers le continent a chuté à 0,15 an (1,8 mois) entre 2011 et 2019. Parmi les pays étudiés, tous à l’exception de la Norvège ont vu leur progression ralentir.

Cependant, l’ampleur du phénomène varie : l’Angleterre est le pays où le ralentissement a été le plus marqué avec une baisse de l’amélioration annuelle moyenne de 0,18 an, passant de 0,25 entre 1990 et 2011 à 0,07 entre 2011 et 2019. L’Irlande du Nord enregistre le deuxième ralentissement le plus important (avec une réduction de 0,16 an), suivie du pays de Galles et de l’Écosse (tous deux en baisse de 0,15 an).
Les données montrent aussi qu’entre 2019 et 2021, lors de la pandémie de Covid-19, tous les pays sauf l’Irlande, l’Islande, la Suède, la Norvège, le Danemark et la Belgique ont connu une baisse de la longévité, avec des chutes encore plus manifestes pour la Grèce et l’Angleterre.
Mais que se passe-t-il exactement ?
Les auteurs de l’étude attribuent le ralentissement général de la progression de l’espérance de vie entre 2011 et 2019 à une augmentation des décès liés aux maladies cardiovasculaires, elle-même associée à l’obésité, à un taux élevé de cholestérol, à l’hypertension, à une alimentation déséquilibrée et au manque d’activité physique. L’usage du tabac et de l’alcool ne fait par ailleurs qu’aggraver la situation. Les chercheurs notent à ce titre que les pays qui ont le mieux maintenu leur progression de leur durée de vie sont ceux où les décès liés aux maladies cardiovasculaires et aux cancers sont les plus faibles.
Lors de la pandémie de Covid-19, entre 2019 et 2021, la longévité a diminué dans la plupart des pays étudiés. Les infections respiratoires et autres complications liées à la pandémie ont accentué la tendance débutée en 2011. Or, les pays où la longévité progressait déjà moins dans les années 2010 ont été les plus durement touchés. Par exemple, la Grèce et l’Angleterre ont enregistré les plus fortes baisses pendant la pandémie, avec une perte respective de 0,61 et 0,6 an, soit plus de sept mois chacun.

En revanche, la Norvège, l’Islande, la Suède, le Danemark et l’Irlande ont continué à voir leur espérance de vie augmenter, tandis qu’en Belgique, elle est restée stable. L’étude suggère que ces pays étaient tout simplement mieux préparés à faire face à la pandémie. « En comparant les pays, on constate que les politiques nationales qui ont favorisé une meilleure santé de la population étaient associées à une plus grande résilience face aux crises futures », insiste Nick Steel.
Peut-on relancer l’espérance de vie ? Oui, mais avec des mesures prises à l’échelle nationale.
Les auteurs de l’étude estiment que les gouvernements doivent agir sur les facteurs de risque sanitaires en promouvant une alimentation saine, l’exercice physique et l’accès aux soins médicaux. D’autres recherches montrent que des investissements publics accrus dans l’éducation et les services pour les personnes en situation de handicap sont associés à une vie plus longue, tout comme un PIB par habitant plus élevé. Une étude de 2021 menée en Angleterre révèle par ailleurs que les coupes budgétaires dans les collectivités locales pourraient aggraver les inégalités entre les zones riches et les plus défavorisées.
Les chercheurs expliquent que les pays qui ont réussi à maintenir la progression de la durée de vie après 2011 (principalement les pays scandinaves, l’Islande et la Belgique donc) l’ont fait en réduisant l’incidence des maladies cardiovasculaires et des cancers et en limitant l’exposition de leurs populations à des risques comme la sédentarité, la malbouffe ou le tabac grâce à des politiques publiques adaptées. Pour inverser la tendance observée, ils insistent donc sur l’importance de la prévention avant l’apparition des maladies. En effet, les maladies cardiovasculaires et les cancers mettent notamment des années à se développer.
Quatre industries dans le viseur de l’étude
Selon ces chercheurs, il est aussi crucial de dépasser l’idée que les bonnes habitudes relèvent uniquement de choix individuels. S’ils ne nient aucunement que chaque personne conserve une part de responsabilité, ils pensent malgré tout qu’il faudrait s’attaquer aux quatre grandes industries qui sont responsables d’au moins un tiers des décès prématurés : le tabac, les aliments ultra-transformés, les énergies fossiles et l’alcool. L’importance économique de ces secteurs freine en effet pour l’heure l’adoption de politiques publiques efficaces pour réduire leurs effets nocifs, à l’exception notable du tabac. Les scientifiques suggèrent néanmoins aux gouvernements de prendre des mesures comme la régulation de la publicité des produits nocifs, l’instauration de taxes sur les aliments malsains ou encore la promotion d’alternatives plus saines.
Heureusement, tout n’est pas si sombre
L’équipe reste néanmoins optimiste quant à la possibilité d’inverser la tendance actuelle. Les données les plus récentes de l’Union européenne indiquent que la longévité a rebondi après la pandémie, atteignant 81,5 ans en moyenne en 2023. Toutefois, en Autriche, en Finlande, en Estonie, aux Pays-Bas, en Grèce et en Allemagne, elle continue de diminuer. L’élément le plus encourageant, selon le professeur Nicholas Steel, est que l’Europe n’a « pas encore atteint un plafond naturel de longévité ». Il ajoute que « l’espérance de vie des personnes âgées continue d’augmenter dans de nombreux pays, ce qui prouve que nous n’avons pas encore atteint une limite biologique. L’espérance de vie reflète surtout la mortalité aux âges plus jeunes où il est encore possible de réduire les risques et d’éviter des décès prématurés. »
Vous pouvez lire l’étude ici.