La disparition des dinosaures il y a environ 66 millions d’années a provoqué d’importants bouleversements dans les écosystèmes et pourrait même avoir ouvert la voie à l’évolution des fruits. Une nouvelle étude a exploré l’histoire évolutive des fruits et des graines afin de déterminer quand et comment leur taille a changé au fil du temps, confirmant que l’extinction des dinosaures a conduit à la croissance de fruits plus grands qui ont nourri nos ancêtres primates et influencé indirectement leur évolution. Publiée dans la revue Palaeontology, cette recherche met en évidence les fluctuations de la taille des graines au fil de l’histoire, principalement dictées par les transformations des forêts. Les résultats, qui couvrent la chute des dinosaures et l’essor des mammifères, démontrent comment certaines espèces jouent un rôle majeur dans la structuration de leur environnement en tant qu’ingénieurs des écosystèmes.
Nos fruits actuels et les dinosaures : un lien insoupçonné
Les fruits constituent une part essentielle de l’alimentation humaine, mais ils n’ont pas toujours eu l’apparence qu’on leur connaît aujourd’hui. Leur origine reste par ailleurs floue. Les premières plantes angiospermes (ou plantes à fleurs) sont datées du Crétacé inférieur (environ 135 millions d’années) selon les fossiles retrouvés, mais certains scientifiques estiment qu’elles pourraient être apparues encore plus tôt, durant le Jurassique. Une chose est sûre : à l’époque du Crétacé, les plantes produisaient de petites graines et les fruits étaient rares.
Cependant, la disparition massive des dinosaures à la suite de l’extinction Crétacé-Paléogène a entraîné une transformation profonde des fruits et des graines. Avant cette extinction, les sauropodes (considérés comme les plus grands animaux terrestres ayant jamais existé) modifiaient profondément leur environnement en écrasant les arbres et en consommant d’énormes quantités de végétation.

Après leur disparition, les forêts ont ainsi pu prospérer comme jamais et avaient toute la latitude pour bien repousser. Leur densité accrue aurait alors limité la pénétration de la lumière jusqu’au sol. Des scientifiques ont émis l’hypothèse que cette compétition accrue pour la lumière dans les forêts plus denses aurait favorisé les arbres plus hauts qui devaient croître rapidement. Or, les arbres issus de graines plus grosses bénéficiaient d’un avantage initial dans cette course vers la luminosité. Par conséquent, selon cette théorie, les fruits seraient également devenus plus gros pour ensuite favoriser la dispersion de graines plus imposantes par des animaux comme les premiers primates qui les ingéraient, puis les déféquaient, créant ainsi un cercle vertueux pour ces végétaux.
Jusqu’à présent, peu de preuves soutenaient toutefois cette hypothèse. C’est là qu’intervient une nouvelle recherche menée par des scientifiques de l’Université de l’Arizona du Nord et publiée le 17 février dans Palaeontology. Elle apporte en effet des preuves mécanistiques en faveur de cette théorie. « À première vue, l’assombrissement de la canopée forestière causé par l’extinction des dinosaures peut sembler insignifiant, mais il pourrait avoir directement conduit à l’évolution de nos ancêtres primates frugivores », soutient le professeur Christopher Doughty, issu de l’université en question.
L’évolution de la taille des graines : tout dépend de quel animal foulait la Terre
Pour cette étude, les chercheurs ont vérifié cette hypothèse en créant un modèle qui permettait d’observer l’évolution de la taille des graines et des fruits après la disparition des dinosaures en intégrant également des données plus récentes sur l’impact des grands animaux sur la structure des forêts, la croissance des graines en semis et en jeunes arbres ainsi que l’évolution de la taille des animaux à travers le temps. Les résultats obtenus ont ainsi permis de reproduire fidèlement les tendances historiques au fil des siècles. Surtout, leur modèle a confirmé que la taille des graines et des fruits augmentait effectivement en réponse à l’assombrissement du sous-bois forestier qui a suivi l’extinction des dinosaures, ce qui reflète les tendances observées au cours des 65 derniers millions d’années.
Néanmoins, leurs observations ne s’arrêtent pas là. En poursuivant leur analyse des archives fossiles, les chercheurs ont en effet fait d’autres découvertes surprenantes. Il y a environ 35 millions d’années, lorsque les animaux terrestres avaient atteint des tailles comparables à celles des dinosaures et avaient un impact similaire sur les forêts, les graines ont notamment de nouveau rétréci. « Notre modèle prédit que ces animaux ont ouvert la canopée forestière suffisamment pour laisser pénétrer la lumière dans le sous-bois, ce qui rendait les grandes graines moins compétitives par rapport aux petites graines », explique Christopher Doughty. « La pression évolutive qui favorisait l’augmentation de la taille des graines a alors commencé à s’estomper. Ainsi, nous avons pu expliquer les variations de la taille des graines au fil du temps sans invoquer des influences externes telles que le changement climatique. »
Par ailleurs, ce modèle a mis en évidence une autre fluctuation de la taille des graines il y a environ 50 000 ans, à l’époque des extinctions du Pléistocène tardif, lorsque les grands mammifères tels que les mammouths ont commencé à disparaître. Cette extinction a de nouveau assombri le sous-bois forestier et entraîné une nouvelle augmentation de la taille des graines sur le long terme.

« Ces résultats fournissent un exemple frappant de la manière dont les grands dinosaures et leur extinction finale ont non seulement façonné leur environnement immédiat, mais aussi déclenché des effets en cascade sur les écosystèmes durant des millions d’années », conclut Benjamin Wiebe, doctorant à l’Université de l’Arizona du Nord. « La prochaine fois que vous mangerez un fruit ou vous demanderez “pourquoi suis-je ici ?”, pensez à l’impact de l’extinction des dinosaures ! »
Une recherche qui a porté ses fruits… mais questionne aussi sur l’avenir
« De plus en plus de preuves suggèrent que de nombreux écosystèmes étaient plus ouverts, baignés de lumière et adaptés aux perturbations avant que les humains ne prennent le contrôle des paysages. Les mégaherbivores demeurent un candidat de premier ordre comme principal agent de ces perturbations », écrivent les auteurs de l’étude. Mais qui est aujourd’hui l’influenceur majeur de la taille des graines et des fruits ? Les humains, les descendants lointains de ces premiers primates frugivores, semblent être de bons candidats. Ils ont en effet pris le rôle d’ingénieurs des écosystèmes : la déforestation rapide et les pratiques d’exploitation forestière sélective créent des ouvertures dans la canopée qui augmentent la pénétration de la lumière, si bien que les niveaux d’ensoleillement dans certaines forêts modernes commencent à ressembler à ceux des forêts du Crétacé.

Toutefois, si les humains cessent d’agir comme les sauropodes et ne sont pas remplacés par d’autres ingénieurs mégafauniques, les forêts pourraient à nouveau s’assombrir, ce qui déclencherait une nouvelle course à la lumière et favoriserait l’évolution de graines plus grandes.
« Il est évidemment très spéculatif de prédire le comportement humain à très long terme, mais les résultats de nos recherches suggèrent que nous assisterons soit à l’extinction de l’humanité, soit à une exploitation durable des ressources. Si nous comprenons ce schéma évolutif, nous pourrions même encourager, voire restaurer la culture de fruits à grosses graines », concluent les auteurs de l’étude.