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Comment la crevette-mante assène des frappes redoutables sans se blesser

Comment la crevette-mante assène des frappes redoutables sans se blesser

  • vendredi 14 février 2025
  • 19

Les crevettes-mantes comptent parmi les crustacés les plus redoutables du monde, notamment célèbres pour les coups ultrarapides et redoutables qu’elles utilisent pour neutraliser leurs proies. Néanmoins, elle inflige ces frappes mortelles sans subir de blessures majeures au niveau de ses nerfs ou de ses tissus, ce qui intrigue les scientifiques. Une équipe de chercheurs a analysé les membres antérieurs en forme de massue de la crevette-mante paon (Odontodactylus scyllarus) afin de comprendre comment elle évite d’endommager ses tissus délicats et encaisse ces énormes chocs.


La crevette-mante et sa force de frappe imbattable

Bien que petites et colorées, les crevettes-mantes paon, aussi surnommées squilles multicolores, ne doivent pas être sous-estimées. Ces crustacés carnivores vivent dans les eaux tropicales peu profondes des océans Indien et Pacifique où ils se nourrissent de crabes et d’escargots. Ils sont équipés d’une massue dactyle de chaque côté qui agissent comme une paire de poings capables de frapper avec la force d’une balle de calibre .22. En un seul coup propulsé avec une puissance explosive, la crevette-mante peut efficacement tuer une proie ou défendre son territoire contre d’autres rivaux.

Ce phénomène est passionnant. En effet, lorsque la frappe traverse l’eau, elle crée une zone de basse pression derrière elle, ce qui entraîne la formation d’une bulle. « Lorsque la crevette-mante frappe, l’impact génère des ondes de pression sur sa cible », explique Horacio D. Espinosa, coauteur de l’étude et chercheur à la Northwestern University. « Elle crée également des bulles qui s’effondrent rapidement en produisant des ondes de choc dans la gamme des mégahertz. L’implosion de ces bulles libère des poussées d’énergie intenses qui se propagent à travers la massue de la crevette. Cet effet de choc secondaire combiné à la force d’impact initiale rend la frappe de la crevette-mante encore plus dévastatrice. »

L’impact et les implosions agissent alors de concert pour infliger des forces dépassant 1 000 fois le poids de cette squille. Pourtant, ces prédateurs déclenchent cette puissance de manière répétée sans se blesser ni sourciller. « On connaît la crevette-mante pour son coup incroyablement puissant, capable de briser des coquilles de mollusques et même de fissurer le verre d’un aquarium », s’étonne Espinosa. « Cependant, pour pouvoir exécuter ces frappes à fort impact à plusieurs reprises, la massue dactyle de la crevette-mante doit posséder un mécanisme de protection robuste pour éviter l’autodestruction. » Mais comment fonctionne exactement cette protection ?


squille multicolore crevette-mante paon (Odontodactylus scyllarus)
Crédits : Wikimedia Commons/Jens Petersen

Quelques hypothèses, mais pas de certitude jusqu’ici

Les scientifiques pensaient que cette résistance provenait directement de l’architecture interne de l’armure de ces appendices. Ils se composent de couches de chitine minéralisée (le même polymère glucidique que dans les exosquelettes d’arthropodes) superposées à des faisceaux plus profonds de chitine. Ces couches plus profondes sont légèrement tournées par rapport aux autres, formant une structure hélicoïdale en spirale appelée structure de Bouligand. On supposait que ce design jouait un rôle de bouclier en manipulant la manière dont les ondes de haute énergie se propageaient à travers lui.

Toutefois, cette hypothèse n’avait jamais été testée expérimentalement de manière approfondie. Une étude publiée le 6 février dans Science éclaire les véritables mécanismes qui permettent au membre frappeur de ce crustacé d’accomplir cet exploit et de déployer une telle violence sans risquer de blessure.

Un exosquelette conçu pour filtrer les ondes de choc les plus destructrices

Horacio Espinosa et ses collègues de la Northwestern University, dans l’Illinois (États-Unis), ont cherché à percer les mystères de ces frappes meurtrières en laboratoire. Pour examiner ce phénomène, ils ont utilisé deux techniques avancées afin d’analyser l’armure de la crevette-mante paon avec une grande précision. Premièrement, ils ont appliqué la spectroscopie par réseau transitoire, une méthode à base de laser qui permet d’étudier la propagation des ondes de contrainte à travers les matériaux. Ensuite, ils ont eu recours aux ultrasons laser en picoseconde pour obtenir un aperçu encore plus détaillé de cette microstructure.


Pour simuler les ondes de pression subies par la squille multicolore, les chercheurs ont envoyé des impulsions laser sur des coupes transversales d’exosquelette recouvertes d’aluminium, les chauffant et les faisant se dilater rapidement. Ils ont ensuite mesuré la façon dont les ondes de haute énergie générées par cette expansion se propageaient à travers le matériau.

Leurs expériences ont révélé deux régions distinctes, chacune conçue pour une fonction spécifique au sein de la massue de la crevette-mante. Les couches minéralisées externes contrôlent la propagation des microfissures causées par l’impact initial tandis que les couches internes hélicoïdales dissipent ou neutralisent les ondes de choc les plus intenses. Cela « empêche les ondes de cisaillement d’endommager les tissus mous à l’intérieur », explique Espinosa. Il ajoute que « jusqu’ici, la majorité des recherches se concentraient sur la résistance aux fissures et la robustesse de la structure en la considérant comme un simple bouclier renforcé contre les impacts. Nous avons découvert qu’elle utilise des mécanismes phononiques, des structures qui filtrent sélectivement les ondes de contrainte. »

squille multicolore ou crevette-mante paon (Odontodactylus scyllarus)
Crédits : Wikimedia Commons/Prilfish

Une source d’inspiration pour l’homme

Ce design complexe agit ainsi comme un bouclier phononique qui filtre sélectivement les ondes de stress de haute fréquence afin d’empêcher les vibrations destructrices de se propager à l’intérieur du bras et du corps de la squille multicolore. Et selon Espinosa, l’architecture de cet exosquelette pourrait inspirer de nouveaux matériaux justement conçus pour résister aux impacts comme des armures, des revêtements protecteurs et des structures aérospatiales. David Kisailus, spécialiste des matériaux à l’Université de Californie à Irvine, développe quant à lui déjà des produits basés sur la structure hélicoïdale de la massue de la crevette-mante dans le but de renforcer la résistance des ailes d’avion, des pales d’éoliennes ou encore des crosses de hockey.

Ces découvertes pourraient également inspirer la création de matériaux synthétiques capables de filtrer les ondes sonores pour des équipements de protection. Cette technologie pourrait ainsi servir à concevoir de nouvelles approches pour réduire les blessures liées aux explosions aussi bien dans le domaine militaire que dans le sport.

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