En cuisine, la cuisson des œufs obéit le plus souvent à la bien connue technique du 3-6-9, qui veut que l’on cuise l’œuf trois minutes pour un œuf à la coque, six pour des œufs mollets et neuf pour obtenir un jaune et un blanc durs et fermes, parfaits en salade ou en sandwich par exemple. Toutefois, ces temps de cuisson peuvent finalement varier en fonction du calibre, de la qualité et de la fraîcheur de cet aliment. On peut donc facilement se retrouver avec un résultat trop cuit ou pas assez. Des chercheurs italiens ont néanmoins développé la technique parfaite pour des œufs bouillis idéaux qui préserve en plus parfaitement les nutriments.
Néanmoins, le temps de cuisson et l’aspect fastidieux du processus pourraient en décourager plus d’un… Les impatients sont prévenus.
Qu’est-ce qu’un œuf bien cuit et pourquoi est-ce un tel défi en cuisine ?
L’étude, publiée le 6 février dans Communications Engineering, a révélé que le principal défi pour cuire l’œuf parfait réside dans la structure délicate de ses deux parties distinctes. L’albumen (ou blanc) et le jaune nécessitent en effet des températures de cuisson différentes. Cela s’explique par le fait que chaque partie est composée de plusieurs protéines absentes dans l’autre, leur conférant au passage des températures uniques d’agglutination et de coagulation.
Concrètement, la température optimale de cuisson du jaune d’œuf est de 65 °C tandis que l’albumen nécessite au moins 85 °C. Cela signifie que les cuire de manière optimale pour obtenir une texture onctueuse sans être coulante ni gélatineuse et ferme sans être caoutchouteuse ou crayeuse est souvent une question de compromis… et de ratés en cuisine. Une équipe de chercheurs s’est donc lancée dans la quête de la cuisson parfaite.

Leur étude s’appuie sur la modélisation mathématique basée sur la physique, des simulations et des vérifications expérimentales pour mettre au point une nouvelle technique de cuisson. Les chercheurs ont cuisiné des centaines d’œufs et utilisé les mathématiques pour résoudre cette énigme culinaire. Une équation a permis d’analyser la manière dont la chaleur se propage d’une surface chaude vers l’œuf tandis qu’une autre a permis de modéliser la transition du contenu de l’œuf de l’état liquide à l’état solide, avec une phase gélifiée intermédiaire. Le résultat de ces recherches permettrait de cuire les œufs de manière efficace tout en préservant leur intégrité nutritionnelle.
La solution pour bien faire cuire un œuf ? Une technique appelée cuisson périodique
La méthode de cuisson périodique consiste en une alternance de courtes périodes de chaleur (100 °C) et de froid (30 °C) pendant un total de 32 minutes, réparties en huit cycles de deux minutes chacun. Bien que longue et plus laborieuse, cette approche garantit une cuisson homogène et optimale du jaune et du blanc, ce qui pourrait justifier ces efforts et ce temps supplémentaire. « Nous avons basé ces calculs sur un œuf de 68 g. Si votre œuf est beaucoup plus gros, vous devez augmenter le temps de cuisson d’environ vingt secondes à chaque cycle », précise néanmoins Ernesto Di Maio, un spécialiste des matériaux à l’université de Naples Frédéric II dont le laboratoire est à l’origine de cette technique.
D’après l’étude, le résultat obtenu est un œuf cuit avec une précision quasi surnaturelle : le jaune est soyeux et crémeux tandis que le blanc est tendre. « On peut presque l’étaler, comme sur du pain », explique Emilia Di Lorenzo, coautrice de l’étude et chercheuse à l’université de Naples Frédéric II. Pour s’assurer qu’ils avaient bien mis au point une nouvelle technique parfaite, les chercheurs ont ensuite analysé la composition chimique des œufs ainsi cuits et les ont soumis à un panel de huit testeurs qui les ont comparés à des œufs durs traditionnels, le tout avec succès.

Bien plus qu’une question de texture
Cette méthode de cuisson ne nécessite pas de cuire séparément le jaune et le blanc et évite les manipulations complexes, bien qu’elle exige plusieurs cycles chaud-froid. Si ce temps est plus long que pour un œuf mollet ou dur traditionnel, il reste cependant plus court que celui du sous-vide (une heure). De plus, la cuisson périodique permet justement de surmonter les problèmes du sous-vide, notamment la cuisson insuffisante de l’albumen et les risques potentiels en termes de sécurité alimentaire.
Surtout, cette méthode pour obtenir une texture unique avec les deux composants de l’œuf préserve aussi mieux des composés bioactifs essentiels, tels que les polyphénols (des antioxydants présents dans le jaune et connus pour leurs propriétés anti-inflammatoires) et les acides aminés, que les techniques conventionnelles.
Une recherche qui dépasse le simple domaine de la cuisine
L’objectif des chercheurs n’était pas de breveter une nouvelle méthode de cuisson des œufs, mais bien de mener une expérience intellectuelle amusante qui démontre que « la connaissance des principes scientifiques derrière des problèmes simples peut améliorer même les aspects les plus infimes de notre quotidien, comme le simple fait de manger un œuf » ainsi qu’ils l’expliquent dans leur étude.
Cependant, cette technique ne se limite pas à la cuisine. Elle pourrait en effet avoir des applications plus vastes en science des matériaux, notamment dans les processus de structuration contrôlée, de cristallisation et de durcissement. Pellegrino Musto, l’un des auteurs de l’étude, évoque même des implications dans le domaine du recyclage qui constitue d’ailleurs le principal axe de recherche de son équipe. « Un profil thermique bien conçu pourrait permettre de créer des structures en couches à partir d’un seul matériau entièrement recyclable ». Il ajoute que « l’objet ainsi obtenu présenterait des propriétés en couches similaires à un objet multimatériaux », mais serait beaucoup plus facile à recycler.