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Au-delà de la valeur économique : une approche holistique de l’attribution du spectre (PLUM)

Au-delà de la valeur économique : une approche holistique de l’attribution du spectre (PLUM)

  • lundi 28 septembre 2020
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(PLUM CONSULTING) - Pour qu’un pays connaisse une croissance économique durable, tous les domaines de son organisation structurelle (sa politique, son économie et sa société) doivent être interconnectés. De plus, les politiques gouvernementales et réglementaires doivent les prenne en compte pour avoir un effet optimal. Or, ces interconnexions sont ignorées dans plusieurs domaines importants ; cela se confirme plus particulièrement lorsque l’on examine la politique du spectre en vigueur dans différents pays. Dans les pays développés, cela a entraîné l’élargissement de la fracture numérique ; dans les pays en développement, cela s’est traduit par un échec d’attribution du spectre, avec des conséquences directes sur la croissance économique nationale. Dans ce document, nous examinons la nécessité d’une politique holistique du spectre qui s’adresse à tous les acteurs de l’organisation structurelle d’un pays et veille à ce que ceux-ci travaillent de concert et non les uns contre les autres.


La demande de spectre n’est pas seulement une question de valeur économique


L’industrie des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) agit comme un catalyseur de la croissance économique de tous les secteurs d’un pays. Toutefois, l’actuelle pandémie de COVID-19 a encore mis en évidence l’importance des TIC, bien au-delà de leur pure valeur économique. Les nombreux cas d’utilisation, notamment le maintien des liens familiaux et amicaux, le divertissement avec la consommation de contenus vidéo ou les jeux en ligne, ainsi que le télétravail et la possibilité d’étudier à domicile, suggèrent l’ampleur de l’impact social que les TIC ont sur nos économies.


La disponibilité du spectre radio sous-tend l’infrastructure des TIC. C’est d’autant plus le cas dans les zones rurales et les pays en développement où il existe peu d’installations fixes. Par conséquent, comme pour l’ensemble de l’industrie des TIC, la véritable valeur du spectre ne peut se limiter à un simple résultat économique quantifiable. Bien qu’ils ne puissent être directement quantifiés, certains avantages sociaux permettent des gains de productivité indirects contribuant à améliorer le résultat économique global.


L’offre de spectre ne doit pas être uniquement une question de valeur économique


Il existe trois grandes approches d’attribution du spectre par les pouvoirs publics : l’attribution directe, la mise aux enchères et l’appel d’offres comparatifi. Si les ventes aux enchères et les attributions directes peuvent constituer un moyen efficace de générer des revenus pour les gouvernements, elles se traduisent parfois par un prix de vente du spectre très élevé.


Selon une étude réalisée par GSMA en 2018, le prix de réserve du spectre pour un groupe d’enchères et d’attributions directes dans les pays en développement s’est révélé cinq fois plus élevé que dans les pays développés, une fois pris en compte le niveau de revenuii. Dans les pays développés, les prix de réserve élevés reflètent la perception d’une forte demande, de marchés matures et d’un haut pouvoir d’achat, autant de caractéristiques renforcées par de solides structures politiques, économiques et sociales. Toutefois, les prix de réserve élevés ne peuvent se justifier dans les pays en développement en raison du bas niveau de revenu résultant de la faiblesse des structures politiques, économiques et sociales.


Une prise de conscience de cette interaction se dessine dans certains pays qui ont adopté une approche d’attribution du spectre par appel d’offres comparatif. Les appels d’offres comparatifs portent sur la valeur du spectre au-delà du simple point de vue économique. L’accent est mis sur la croissance à long terme, plutôt que sur la nécessité d’engranger des recettes immédiates. Dans le cadre d’un appel d’offres comparatif, le spectre peut être attribué à bas prix, mais en demandant aux opérateurs mobiles de remplir diverses obligations dans un délai précis. Ces obligations peuvent être liées à l’investissement dans les infrastructures, à la couverture géographique et au déploiement du réseau ou des services. Tout manquement est alors susceptible d’entraîner la révocation de la licence d’utilisation du spectre.


Par conséquent, tant l’offre que la demande sont affectées par des facteurs qui vont au-delà de la simple valeur économique du spectre, comme l’illustre la Figure 1 ci-dessous. Cette compréhension doit étayer la prise de décision des pouvoirs publics en matière de politique du spectre.


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Figure 1 : Interconnexion des facteurs politiques, économiques et sociaux dans la détermination de l’offre et de la demande de spectre


Pays différents, impacts différents


Dans les pays développés, l’absence de prise en compte des trois domaines de l’organisation structurelle dans la politique du spectre a eu pour conséquence l’élargissement de la fracture numérique, la lenteur des progrès vers l’universalité des services et la faible croissance économique des zones rurales.


Or, dans les pays en développement, les effets se sont fait sentir sur les résultats de l’attribution du spectre eux-mêmes, ce qui a nui gravement à la croissance économique nationale.


Plusieurs exemples montrent que l’absence de prise en compte des facteurs politico-économiques et sociaux sous-jacents lors de la fixation du prix de réserve du spectre a limité la vente du spectre dans les pays en développement. Parmi ces facteurs, citons un déficit budgétaire élevé, un manque de volonté politique, un plan d’action peu clair concernant le spectre, la corruption, la détérioration de la santé des institutions et la mainmise politique. La Figure 2 ci-dessous présente une analyse de corrélation pour un groupe de pays en développement dont l’adjudication n’a pas abouti - c’est-à-dire que toutes les fréquences n’ont pas été vendues.


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Figure 2 : Pourcentage du spectre vendu et corrélation avec la santé des institutions, la mainmise politique et la corruption


Cette analyse suggère des caractéristiques politico-économiques et sociales défavorables dans les pays en développement concernés pendant la période des attributions du spectre respectives. Nous revenons en détail sur ces attributions du spectre dans les paragraphes suivants.


Indeiii


En octobre 2016, le gouvernement indien a organisé une vente aux enchères multiple portant sur les bandes TDD 800 MHz, 1 800 MHz, 2 100 MHz, 2 300 MHz et 2 500 MHz. Des lots de 2×1,25 MHz dans la bande 800 MHz, de 2×0,2 MHz dans la bande 1 800 MHz, de 2×5 MHz dans la bande 2 100 MHz et de 2×10 MHz dans les bandes 2 300 MHz et 2 500 MHz ont été mis aux enchères. Le prix de réserve moyen était de 0,33 $/MHz/habitant, soit un montant près de 50 % supérieur au prix médian dans les pays en développement entre 2000 et 2017. La vente aux enchères n’a pas remporté un franc succès, avec l’attribution de 41 % du spectre seulement.


Bangladeshiv,v


En février 2018, le gouvernement du Bangladesh a organisé une vente aux enchères multiple portant sur les bandes 900 MHz, 1 900 MHz et 2 100 MHz. Des lots de 2×34 MHz dans la bande 900 MHz, de 2×18 MHz dans la bande 1 900 MHz et de 2×25 MHz dans la bande 2 100 MHz ont été mis aux enchères. Les prix de réserve ont été maintenus à 0,19 $/MHz/habitant dans les bandes 900 MHz et 1 800 MHz et à 0,17 $/MHz/habitant dans la bande 2 100 MHz. Jugé extrêmement élevé, ce prix se serait avéré 3,5 fois supérieur au flux de trésorerie annuel généré par l’ensemble des opérateurs de téléphonie mobile. Seulement 33 % du spectre a été vendu.


Mozambiquevi,vii


En avril 2013, le gouvernement du Mozambique a mis aux enchères cinq lots de 2×5 MHz dans la bande 800 MHz. Le prix de réserve de 0,12 $/MHz/habitant a été jugé excessif par les opérateurs : ces derniers auraient dû investir un tiers de leur chiffre d’affaires annuel issu des services pour être en mesure de répondre à l’offre de départ. Cela représentait 448 millions de dollars en 2013. L’offre de départ était apparemment 50 % plus élevée que le prix final moyen en Afrique subsaharienne sur la période 2000-2017, après ajustement en fonction du revenu par habitant. En conséquence, aucun candidat n’a participé à la vente aux enchères, qui a finalement été annulée par le régulateur.


Jamaïqueviii


En 2013, le gouvernement jamaïcain a mis aux enchères la bande 700 MHz pour un prix de réserve compris entre 40 et 45 millions de dollars. Les opérateurs ont indiqué que le prix était élevé et, par conséquent, l’attribution du spectre a été retardée d’un an.


Ghanaix


En décembre 2015, le gouvernement du Ghana a mis aux enchères deux lots de 2×10 MHz dans la bande 800 MHz. Le prix de réserve, fixé à 0,13$/MHz/habitant, a été jugé très élevé par les opérateurs et seulement 50 % du spectre mis aux enchères a été vendu.


Sénégal


En novembre 2015, le gouvernement du Sénégal a organisé une vente aux enchères multiple portant sur les bandes 700 MHz, 800 MHz et 1 800 MHz. Trois blocs de 2×30 MHz dans la bande 800 MHz, quatre blocs de 2×20 MHz dans la bande 700 MHz et trois blocs de 2×30 MHz dans la bande 1 800 MHz ont été mis aux enchères. Le prix de réserve, fixé à 0,08 $/MHz/habitant, a été jugé très élevé par les opérateurs mobiles. L’autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) a également reçu une lettre signée par les trois opérateurs historiques, dans laquelle ils demandaient une réduction des prix. Cependant, l’ARTP n’a pas modifié le prix de réserve et seulement 39 % du spectre total mis aux enchères a été vendu.


Les prix de réserve doivent refléter l’environnement d’exploitation


Les cas ci-dessus suggèrent que l’échec d’une attribution (lorsque la totalité du spectre n’est pas vendue) a coïncidé avec un prix de réserve élevé. Or, ce dernier ne correspondait pas au bas niveau de revenu découlant de facteurs politiques, économiques et sociaux sous-jacents défavorables dans ces pays en développement.


La Figure 3 et la Figure 4 viennent illustrer une possible corrélation positive entre la proportion de spectre vendue et les facteurs politico-économiques et sociaux sous-jacents. Elles comparent le pourcentage de spectre vendu avec la santé des institutions, la mainmise politique et la corruption dans les pays développés et en développement.


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Figure 3 : Corrélation entre le pourcentage de spectre vendu, la santé des institutions et la corruption


 


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Figure 4 : Corrélation entre le pourcentage de spectre vendu, la mainmise politique et la corruption


Remarque : La taille de la bulle indique l’ampleur de la corruption dans le pays. Plus la bulle est petite, plus la corruption est élevée. Voir note de fin n° 6)


Cette analyse suggère qu’une plus grande proportion de spectre a été vendue pour les attributions 3G et LTE dans les pays développés, ce qui coïncide avec leurs facteurs politiques, économiques et sociaux favorables. En revanche, un spectre minimal a été vendu dans les pays en développement, ce qui coïncide avec leurs caractéristiques sous-jacentes défavorables (et cela peut s’expliquer également, comme nous l’avons déjà dit, par des prix de réserve élevés ne reflétant pas ces différences).


Par conséquent, tous les domaines de l’organisation structurelle d’un pays doivent être pris en compte pour qu’une attribution du spectre soit réussie (ce qui, dans ce document, est défini comme la proportion de spectre vendue). Les pouvoirs publics ont alors la possibilité de décider du prix de réserve du spectre en gardant à l’esprit les facteurs sous-jacents. Plus précisément, dans les pays en développement, le prix de réserve devrait être inférieur à celui pratiqué dans les pays développés – non seulement en raison du niveau de revenu plus bas, mais aussi du fait de facteurs politico-économiques et sociaux comparativement défavorables, qui contribuent ensemble à leur faible pouvoir d’achat. L’autre solution consiste à lancer un appel d’offres comparatif.


Analyses comparatives ciblées et spécifiques au contexte


Les facteurs politico-économiques et sociaux doivent être pris en compte dans l’analyse comparative des prix de réserve du spectre. Cela se fait souvent en choisissant un sous-ensemble de pays de comparaison en fonction du niveau de revenu du pays à l’étude, de la proximité géographique ou d’autres paramètres similaires. Le niveau de revenu est positivement corrélé à la situation politique et sociale des paysx,xi,xii. En outre, les pays de la même région sont réputés avoir des caractéristiques politiques et sociales similaires, et une croissance économique interdépendante en raison des effets de contagion régionauxxiii,xiv.


Bien qu’il soit utile pour les pays en développement d’utiliser comme référence les prix de réserve du spectre pratiqués dans des pays au niveau de revenu similaire et dans des pays de leur région géographique, il est important de faire preuve de prudence, car bon nombre de ces points de données risquent d’être affectés négativement par les valeurs élevées des prix de réserve indiquées ci-dessus. Si l’exclusion des valeurs atypiques élevées peut être suffisante d’ordinaire, ce n’est pas forcément le cas en présence de nombreuses valeurs à l’extrémité supérieure. Une analyse économétrique risque également d’afficher la même tendance à la hausse des valeurs, l’ensemble de données étant le même.


Dans ce cas, il convient d’étudier toutes les valeurs supérieures pour comprendre leur origine et de réaliser une recherche documentaire sur d’autres points de données pour déterminer lesquels n’ont pas connu de hausse. Ces points de données doivent être sélectionnés, puis utilisés à des fins d’analyse comparative des prix du spectre. Il est possible que le prix de réserve recommandé ne corresponde pas à la valeur médiane, mais appartienne au dernier quartile.


Appel d’offres comparatif


Même lorsqu’une analyse comparative des prix est possible et que l’on peut effectuer des ajustements en fonction de l’environnement social et politique, rien ne garantit qu’une vente aux enchères aura un résultat socialement bénéfique.


Dans ce contexte, une approche d’appel d’offres comparatif est une option qui mériterait d’être envisagée pour les pays en développement. En effet, un soumissionnaire n’est pas censé payer le prix du marché pour le spectre. Ici, l’attribution du spectre se fonde en grande partie sur un ensemble d’obligations que le soumissionnaire s’engage à satisfaire pendant la durée de la licence. Ces obligations peuvent porter sur l’investissement dans les infrastructures réseau, l’échelle du déploiement, la qualité de service, la couverture géographique ou la couverture de la population. Les pouvoirs publics surveillent alors les progrès réalisés par les titulaires de licence et peuvent également révoquer la licence de spectre si les obligations ne sont pas remplies.


Les principales questions soulevées par ce type d’appel d’offres comparatif sont : comment définir ces obligations ? Quel est le niveau socialement optimal de couverture et de qualité de service ? Une analyse portant sur les fonctions de la demande publique et privée peut être effectuée pour répondre à ces questions. Ainsi, l’appel d’offres comparatif est un moyen de prendre activement en compte les impacts politiques, économiques et sociaux spécifiques de l’attribution du spectre.


Bien que les recettes à court terme d’un appel d’offres comparatif risquent d’être inférieures à celles que l’autorité de régulation aurait engrangées dans le cadre d’une vente aux enchères ou d’une attribution directe, les bénéfices à long terme devraient être supérieurs pour le pays. Selon une étude menée en 2017xv, la perte du surplus du consommateur liée aux prix élevés du spectre est plus importante que le gain de revenu issu des enchères pour les pouvoirs publics. Il est donc préférable pour les pays en développement d’adopter une vision à long terme plutôt que de se concentrer sur les recettes immédiates.


Toutefois, dans les pays en développement en particulier, les appels d’offres comparatifs risquent de faire l’objet d’une mainmise politique en raison d’un manque de transparence. Une approche d’appel d’offres comparatif, si elle est choisie dans un pays en développement, doit être conçue de façon à encourager la transparence et la responsabilité des pouvoirs publics.


Impacts environnementaux inhérents à la politique du spectre


Comme nous l’avons vu précédemment, les trois aspects de l’organisation structurelle d’un pays (politique, économie et société) sont interconnectés et influent sur la croissance économique et le développement à l’échelle nationale. L’environnement est le pilier sur lequel reposent ces trois domaines. Par conséquent, aucune politique du spectre ne peut être holistique sans tenir compte de son impact environnemental.


Cet aspect, auquel l’industrie des TIC accorde un intérêt croissant, devrait être renforcé et intégré directement dans la politique du spectre. Les pouvoirs publics et les régulateurs doivent mettre l’accent sur les obligations de compensation carbone incombant aux opérateurs mobiles, sur la réduction de l’empreinte carbone des équipements d’infrastructure réseau, sur le partage du spectre et sur les réseaux d’accès à définition logicielle (SDAN) par rapport à l’infrastructure physique, ainsi que sur l’importance de la prise en compte des coûts du carbone dans les évaluations d’impact et la modélisation des coûts de réseau ou des entreprises.


Conclusions


Les pouvoirs publics des pays en développement devraient prendre en compte que le spectre n’a pas seulement un impact sur la structure économique nationale, mais aussi sur la composition politique et sociale. De même, ces trois facteurs influent sur la valeur du spectre lui-même. La politique du spectre se doit d’être holistique afin de tenir compte de tous ces facteurs, et doit également s’intéresser aux facteurs environnementaux de l’exploitation. Dans le cas contraire, il est probable que les résultats de l’attribution du spectre seront insuffisants.


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