En 2014, un papyrus vieux de près de 1 900 ans était redécouvert, offrant un éclairage rare sur le système judiciaire de l’Empire romain à la veille de la révolte de Bar Kokhba. Ce document ancien, surnommé Papyrus Cotton, révèle une affaire criminelle qui implique des accusations de falsification de documents, de fraude fiscale et d’affranchissement illégal d’esclaves dans la province romaine de Judée. L’affaire se déroule sous le règne de l’empereur Hadrien à une époque marquée par des tensions politiques croissantes.
Une découverte inestimable dans le désert de Judée
Le Papyrus Cotton a été découvert dans les années 1950 dans une grotte du désert de Judée, dans le cadre des fouilles menées dans la région. À l’origine classé comme étant d’origine nabatéenne, le papyrus est ensuite resté en grande partie ignoré jusqu’à sa redécouverte en 2014 par la professeure Hannah Cotton Paltiel de l’Université hébraïque.
Ce document, qui se compose de plus de 130 lignes en grec, est désormais considéré comme l’un des plus importants vestiges juridiques de l’Empire romain dans cette région. D’une importance capitale pour les historiens et les chercheurs, il fournit des informations uniques sur les procédures judiciaires de l’époque, notamment les préparatifs d’un procès criminel sous l’autorité romaine. Le texte relate des événements survenus entre les années 129 et 132, juste avant la révolte de Bar Kokhba, un soulèvement majeur qui a secoué la Judée.
Les accusés et les crimes commis
Les principaux accusés dans cette affaire sont Gadalias, un fils de notaire, et son associé Saulos. Les deux hommes sont accusés de falsification de documents dans le but de contourner les taxes romaines et d’organiser l’affranchissement fictif d’esclaves. En falsifiant des actes de vente, ils espéraient échapper à l’impôt, une fraude qui était passible de lourdes sanctions en droit romain, notamment des travaux forcés, voire la peine capitale. Gadalias n’était en particulier pas un inconnu des autorités romaines. Il avait un passé criminel qui comprenait des actes de violence, d’extorsion et des accusations de contrefaçon. Saulos jouait quant à lui un rôle central dans l’organisation de ces transactions frauduleuses pour faciliter la vente et l’affranchissement d’esclaves sans paiement des taxes dues.
Le texte laisse entendre que bien que l’affaire semble principalement liée à une fraude fiscale, elle pourrait également avoir des implications politiques. À cette époque, la Judée était en pleine effervescence politique avec des tensions croissantes entre la population juive locale et les autorités romaines, notamment après la révolte de la diaspora juive (115-117 CE). Le procès de Gadalias et Saulos pourrait avoir été perçu par les Romains comme un moyen de réprimer toute forme de résistance ou de subversion dans la région. Le fait que l’affaire se déroule peu avant le soulèvement de Bar Kokhba laisse entrevoir que les autorités romaines étaient particulièrement vigilantes face à tout signe de rébellion ou de complicité dans des actes subversifs.

Le procès et la procédure judiciaire romaine
Sa description détaillée du procès rend le Papyrus Cotton particulièrement précieux. Le document contient des notes d’un procureur qui conseille ses collègues sur la force des preuves et les stratégies à adopter face à l’accusation de fraude fiscale. Le langage utilisé est direct et informel, ce qui reflète l’urgence de la situation. Les procureurs semblent avoir anticipé les objections des accusés et élaboré des stratégies pour les contrer. Ce niveau de détail offre une vue unique sur le fonctionnement de la justice dans les provinces romaines à cette époque, un aperçu souvent difficile à obtenir à partir des sources classiques.
En outre, le procès met en lumière le système judiciaire romain dans ses détails pratiques. Les autorités romaines exigeaient que les procès soient bien documentés, ce qui était une pratique courante dans tout l’Empire, y compris dans des régions éloignées comme la Judée. Le texte évoque également la présence d’un jury et les mesures mises en place pour assurer la régularité des procédures, soulignant ainsi l’efficacité du système romain pour réguler même les transactions privées.
L’impact historique et les implications
Bien que l’affaire criminelle de Gadalias et Saulos semble avoir été un cas relativement mineur en termes de crimes, elle s’inscrit dans un contexte de répression politique et sociale. Soucieux de maintenir l’ordre dans leurs provinces, les Romains étaient attentifs à toute forme de déviance, qu’il s’agisse de rébellion ouverte ou de fraude administrative. L’inclinaison des accusés à falsifier des documents pourrait ainsi être perçue comme un acte de résistance à l’autorité impériale, d’autant plus que cette fraude fiscale pourrait avoir alimenté les tensions qui ont conduit à la révolte de Bar Kokhba. Le texte reste également un précieux témoignage des pratiques romaines en matière de régulation des esclaves et des transactions juridiques, des aspects souvent négligés dans l’étude de l’Empire romain.
Enfin, le mystère entourant la préservation du papyrus dans les grottes de la Judée, peut-être en raison de la révolte de Bar Kokhba, ajoute à la singularité de cette découverte. Si le procès de Gadalias et Saulos n’a pas été interrompu par la rébellion, il est possible que l’affaire ait été éclipsée par les événements qui ont suivi. Néanmoins, ce papyrus nous offre un aperçu inestimable de la vie judiciaire à l’époque de Hadrien et constitue un lien précieux entre le passé antique et notre compréhension moderne de la justice et de la politique dans l’Empire romain.