Une équipe de physiciens pense avoir mis la main sur ce qui pourrait être la toute première preuve observationnelle soutenant la théorie des cordes. Et ce signal ne vient pas de particules étranges ou d’accélérateurs géants, mais d’un phénomène que l’on croyait déjà bien connu : l’énergie noire.
Une théorie élégante… et insaisissable
Parmi toutes les tentatives de réconcilier les grandes lois de l’univers, la théorie des cordes se distingue par son ambition et sa sophistication. Depuis les années 1970, elle se présente comme une candidate sérieuse à ce que les physiciens appellent la « théorie du tout » : un cadre unique capable d’unifier la relativité générale — qui décrit la gravité et les structures à très grande échelle — et la mécanique quantique, qui gouverne les phénomènes à l’échelle microscopique.
Le cœur de cette théorie repose sur une idée radicale : ce que nous percevons comme des particules élémentaires (comme les électrons ou les quarks) ne seraient en réalité que différentes manifestations d’un même objet fondamental — une corde unidimensionnelle, infiniment petite, qui vibre à différentes fréquences. Selon le mode de vibration de cette corde, elle donnerait naissance à une particule différente, un peu comme une corde de guitare peut produire plusieurs notes selon la manière dont on la pince.
Ce concept, aussi élégant soit-il sur le plan mathématique, a toutefois un talon d’Achille : il n’a encore jamais été confirmé par l’expérience. La théorie des cordes fonctionne dans des dimensions supplémentaires (jusqu’à dix ou onze, selon les versions), invisibles dans notre quotidien. Et surtout, elle produit très peu de prédictions testables dans les conditions actuelles. Les énergies nécessaires pour observer directement ses effets sont bien au-delà des capacités des accélérateurs de particules actuels.
Cela fait donc plusieurs décennies que la théorie des cordes suscite autant d’espoir que de scepticisme. Admirée pour sa beauté formelle, critiquée pour son absence de vérifiabilité, elle est restée en marge de la validation expérimentale — jusqu’à aujourd’hui, peut-être.
Le mystère toujours opaque de l’énergie noire
Tout pourrait changer grâce à l’un des mystères les plus fascinants de la cosmologie : l’énergie noire. Depuis 1998, on sait que l’expansion de l’univers ne ralentit pas, mais s’accélère. La cause ? Une force mystérieuse qui imprègne l’espace. On l’appelle énergie noire, mais personne ne sait vraiment ce que c’est.
Problème : les théories actuelles ne parviennent pas à rendre compte de sa vraie nature — ni de son intensité. Si l’on tente de la calculer à partir des lois de la physique quantique, on obtient un résultat absurde : une densité d’énergie noire 10¹²⁰ fois plus grande que ce que l’on observe. C’est l’un des plus grands écarts entre théorie et expérience jamais rencontrés en science.
Et ce n’est pas tout. De récentes mesures réalisées par le spectroscope DESI (Dark Energy Spectroscopic Instrument), un instrument de pointe qui cartographie la structure à grande échelle de l’univers, ont révélé un autre élément déroutant : l’énergie noire ne semble pas rester constante dans le temps, comme on le pensait. Elle décroîtrait légèrement, ce que les modèles classiques ne prévoient pas.

Un espace-temps fondamentalement quantique
Face à ces incohérences, une équipe de chercheurs propose une approche radicale : et si le problème venait de notre manière de concevoir l’espace-temps lui-même ? En s’appuyant sur la théorie des cordes, les physiciens ont développé un modèle dans lequel l’espace-temps n’est pas continu, mais fondamentalement quantique. Concrètement, ils utilisent un cadre mathématique dit “non commutatif”, où les coordonnées de l’espace et du temps ne suivent pas un ordre fixe dans les équations. Cette idée, déjà connue en mécanique quantique, devient ici une propriété de l’univers tout entier.
C’est ici que le modèle proposé prend tout son intérêt : en décrivant l’espace-temps comme un objet quantique, les chercheurs montrent qu’une forme d’énergie noire en découle naturellement. Et pas n’importe laquelle : une énergie dont la densité correspond presque parfaitement à celle mesurée aujourd’hui… et qui décroît avec le temps, exactement comme l’indiquent les dernières observations du spectroscope DESI.
Mais ce n’est pas tout. Selon ce modèle, cette densité d’énergie noire dépend de deux échelles extrêmes : la longueur de Planck (la plus petite unité significative en physique, de l’ordre de 10⁻³³ centimètres) et la taille actuelle de l’univers. Un tel lien entre l’infiniment petit et l’infiniment grand est exceptionnel en physique. Il pourrait indiquer que l’énergie noire est une manifestation directe de la nature quantique de l’espace-temps lui-même.
Michael Kavic, co-auteur de l’étude, va plus loin : selon lui, les données actuelles pourraient constituer la première signature observable d’un effet prédit par la théorie des cordes. Une première.
Une piste testable dans les prochaines années ?
Contrairement à beaucoup d’autres approches théoriques, celle-ci ne reste pas enfermée dans les équations. Les chercheurs suggèrent en effet des moyens concrets de tester leur hypothèse. L’un des plus prometteurs : la détection d’interférences quantiques d’un type nouveau, que la physique quantique standard ne prévoit pas, mais qui devraient apparaître en gravité quantique.
Ces motifs d’interférence pourraient être observés en laboratoire dans les prochaines années, affirment les auteurs. Ils constitueraient alors une preuve expérimentale inédite de phénomènes de gravité quantique — et donc un test indirect de la théorie des cordes.
Une avancée théorique majeure… à confirmer
La prudence reste de mise. L’article, disponible sur la plateforme arXiv, n’a pas encore été évalué par des pairs. Et l’histoire récente de la physique théorique est pleine d’annonces prématurées. Mais pour une fois, les éléments semblent converger : une prédiction issue d’une théorie fondamentale, un phénomène cosmologique mystérieux, et des observations réelles qui collent.
Si ces résultats sont confirmés, ce serait une avancée décisive dans notre compréhension de l’univers. Non seulement pour expliquer ce qu’est l’énergie noire, mais aussi pour apporter une première validation expérimentale à une théorie qui, depuis des décennies, cherche désespérément un contact avec la réalité.
La théorie des cordes ne serait alors plus un rêve mathématique. Elle deviendrait, enfin, un outil pour comprendre la vraie nature de notre univers.