En 2014, un phénomène climatique rare et inquiétant frappait le Pacifique Nord, entraînant une catastrophe pour les guillemots marmettes (Uria aalge). Ces oiseaux marins, qui sont connus pour leur plumage noir et blanc ainsi que pour leurs talents de plongeurs, ont été décimés par une vague de chaleur marine appelée « The Blob ». Ce cataclysme aura entraîné la mort de près de 4 millions de guillemots, marquant l’une des extinctions les plus importantes d’une seule espèce dans l’ère moderne.
Le phénomène « The Blob » : une chaleur marine extrême
Le phénomène de « The Blob » fait référence à une anomalie thermique inhabituelle qui a affecté les eaux du Pacifique Nord entre 2014 et 2016. Il s’agit d’une vaste masse d’eau chaude s’étendant sur plusieurs milliers de kilomètres carrés dont les températures ont dépassé de manière persistante les moyennes saisonnières habituelles. Elles ont en effet atteint des niveaux qui étaient 4°C supérieurs à la normale. Cette anomalie a été détectée par les scientifiques à partir de données de température de surface des océans et de satellites.
L’origine de « The Blob » reste partiellement mystérieuse, mais les experts s’accordent à dire qu’elle résulte d’une combinaison de facteurs climatiques. L’absence de vents normaux dans la région, qui aident normalement à mélanger les couches d’eau et à répartir les températures, a notamment contribué à l’accumulation d’eau chaude en surface. En outre, la modification des courants océaniques et des conditions météorologiques mondiales, telles que le phénomène d’El Niño, ont joué un rôle dans la formation de cette anomalie.
Famine et mortalité massive
Ce réchauffement des eaux a eu un impact majeur sur la chaîne alimentaire. Le phytoplancton, une base essentielle de l’alimentation marine, a diminué de manière spectaculaire, créant une pénurie de poissons fourrages qui sont la principale source de nourriture pour de nombreuses espèces marines, dont les guillemots marmettes. Privés de leur nourriture, ces derniers ont souffert de famine et les plages du Pacifique se sont rapidement retrouvées couvertes de carcasses d’oiseaux. Rien qu’en 2015, les chercheurs ont recensé pas moins de 62 000 morts de guillemots en une seule année, un chiffre bien plus élevé que les taux habituels de mortalité.
Cependant, la véritable ampleur de cette catastrophe est apparue plus clairement grâce à des recherches récentes. Une étude menée par Heather Renner, biologiste au Fish and Wildlife Service des États-Unis, a révélé que le phénomène avait tué environ 4 millions de guillemots marmettes, soit près de la moitié de la population d’Alaska. Dans certaines régions, comme le golfe d’Alaska, la taille des colonies a chuté de 50 %, tandis que dans d’autres, comme l’est de la mer de Béring, les pertes ont atteint 75 %.
Cet événement a causé la plus grande mortalité d’une seule espèce jamais documentée. Pour donner une idée de l’ampleur de cette tragédie, la mortalité des guillemots marmettes lors de ce phénomène est estimée quinze fois supérieure à celle des oiseaux marins tués lors de la marée noire de l’Exxon Valdez, une catastrophe environnementale déjà légendaire.
Une reprise incertaine : la lutte pour la survie des populations restantes
Sept ans après cet événement dévastateur, les colonies de guillemots marmettes n’ont toujours pas montré de signes de reprise. Les chercheurs continuent de suivre l’évolution des populations, mais les perspectives restent sombres. L’absence de récupération des populations est inquiétante. Les colonies restantes sont beaucoup plus petites et donc plus vulnérables aux prédateurs et à d’autres menaces environnementales. En plus de cela, le stress climatique et l’instabilité alimentaire continuent de compromettre leur survie.
Des images frappantes accompagnent ces recherches, notamment celles de colonies photographiées en 2014 puis en 2021. Ces photos illustrent une réduction dramatique du nombre de guillemots, soulignant l’impact prolongé du phénomène sur ces oiseaux. Les chercheurs s’inquiètent également du fait que l’écosystème marin pourrait ne plus être capable de soutenir des populations aussi grandes, ce qui mettrait encore plus en péril l’avenir des guillemots marmettes.

Un avertissement pour l’avenir
La tragédie des guillemots marmettes devrait servir de signal d’alarme pour l’avenir de nos écosystèmes marins. Alors que le réchauffement climatique continue de modifier les conditions environnementales, il est urgent d’agir pour protéger nos océans et les espèces qui en dépendent. Les vagues de chaleur océaniques comme « The Blob » sont un avant-goût des impacts de l’accélération du changement climatique qui nécessite une réponse collective immédiate.
Il est essentiel de prendre conscience de l’interdépendance de nos écosystèmes et de l’urgence de préserver la biodiversité marine avant que de nouvelles extinctions massives ne surviennent. Le déclin des guillemots marmettes nous rappelle que sans actions concrètes les effets du réchauffement climatique pourraient être encore plus dévastateurs pour la faune et la flore marines à l’échelle mondiale.