Le baiser est un geste de tendresse, de respect ou de romance universellement reconnu (ou presque), mais son origine reste mystérieuse. Alors, pourquoi embrassons-nous ? Une étude de l’Université de Warwick propose une hypothèse fascinante : le baiser pourrait provenir d’anciens comportements de toilettage chez nos ancêtres grands singes.
Le baiser à travers l’histoire et le monde
Le baiser, un geste apparemment simple, est en réalité chargé de symbolisme et régi par des conventions culturelles depuis au moins 4 500 ans. Dans chaque société, des règles précises entourent la manière d’exprimer l’affection en public ou en privé : qui peut s’embrasser, où, quand, comment et dans quelles circonstances.
Les Romains avaient par exemple défini plusieurs types de baisers qui avaient chacun un rôle spécifique. L’osculum, un baiser sur la joue, exprimait une affection sociale ou familiale sans implications romantiques et pouvait servir de marque de politesse. Le basium, sur les lèvres, marquait une relation plus intime, mais sans sous-entendu érotique tandis que le savium, toujours sur les lèvres, exprimait un désir charnel.
Aujourd’hui, en Europe latine, deux baisers sur les joues servent souvent de salutations entre une femme et un homme, mais il est rare qu’ils soient échangés entre hommes, sauf s’ils sont proches ou dans des contextes formels comme des funérailles. Selon les régions et les contextes, ces règles peuvent varier. Dans des milieux professionnels par exemple, les baisers sont souvent évités tandis que dans certaines familles mafieuses, les membres peuvent s’embrasser pour marquer leur appartenance.
Si les normes sociales entourant le baiser fluctuent d’une culture à l’autre, elles partagent néanmoins un but commun : encadrer et atténuer la connotation intime du baiser, réservant cet acte aux relations et situations appropriées. Cette régulation sociale laisse penser que le baiser possède une signification biologique sous-jacente, présente à travers les cultures, suggérant des racines évolutives plus profondes que les règles culturelles elles-mêmes.
Plusieurs hypothèses avancées
Les origines du baiser humain font l’objet de diverses hypothèses. Parmi elles, certaines postulent que les lèvres féminines auraient évolué pour attirer l’attention, ou que le baiser dériverait d’un geste de « reniflement » destiné à évaluer socialement un partenaire. Pourtant, ces explications ne parviennent pas à clarifier pourquoi ce geste prend la forme actuelle du baiser.
D’autres hypothèses, plus approfondies, suggèrent un lien avec l’allaitement ou la pratique de la prémastication, où les soignants nourrissent les nourrissons en leur donnant de la nourriture prémâchée. Ces deux comportements, tout comme le baiser, impliquent un mouvement de succion ou une protrusion des lèvres. Cependant, même cette approche présente des limites. Contrairement à l’allaitement, le baiser ne remplit pas de fonction alimentaire et n’est pas destiné aux nourrissons. Dans la prémastication, les lèvres s’éloignent pour offrir la nourriture, un geste qui contraste avec le mouvement d’ingestion et d’intimité que représente le baiser.
Par ailleurs, bien que les mammifères utilisent la bouche pour des interactions tactiles variées, on ne trouve chez aucun d’eux un équivalent direct du baiser, sauf peut-être chez nos plus proches cousins évolutifs, les chimpanzés et les bonobos, ce qui nous ramène à cette nouvelle théorie. Selon des chercheurs de l’Université de Warwick, ce comportement pourrait en effet être issu d’un ancêtre commun aux grands singes non humains et humains.

Le lien avec le toilettage des primates
Dans les sociétés de primates, le toilettage mutuel dépasse largement une simple fonction de propreté. Ce comportement est essentiel au maintien de la cohésion sociale et sert à renforcer les liens entre les membres du groupe. En nettoyant les autres de leurs parasites et débris, les singes instaurent en effet un climat de confiance, favorisent les alliances et réduisent les tensions internes. Cette pratique joue ainsi un rôle fondamental pour intégrer les individus, structurer la hiérarchie et instaurer des relations harmonieuses au sein de leur communauté.
Au cours de l’évolution humaine, la perte de la pilosité corporelle aurait cependant rendu ce type de toilettage de moins en moins pertinent sur le plan fonctionnel. Les humains ont bien sûr conservé l’usage de leurs mains et de leurs lèvres pour interagir avec leurs pairs, mais le toilettage en tant que geste de nettoyage n’était plus nécessaire. Malgré tout, l’aspect social de cet acte semble avoir survécu, transformant peu à peu un geste utilitaire en un symbole d’affection et d’intimité. Le besoin d’établir des liens et de renforcer des relations, ancré dans nos origines primates, aurait subsisté sous une autre forme, prenant progressivement l’apparence du baiser. Ainsi, le baiser pourrait finalement être considéré comme une forme évoluée de toilettage, mais orientée vers l’émotion et l’attachement plutôt que vers l’hygiène.