Dans l’imaginaire collectif, la foudre est synonyme de destruction. Lorsqu’elle frappe un arbre, on imagine immédiatement un tronc fendu, des branches calcinées et un être vivant condamné à dépérir. Pourtant, une récente étude menée par le Dr Evan Gora et son équipe au Panama révèle un phénomène surprenant : un arbre, le Dipteryx oleifera, non seulement survit à un impact de foudre, mais en ressort grandi, au sens propre comme au figuré. Cette découverte remet en question notre perception des interactions entre la nature et les forces destructrices qui l’entourent. Mais alors, comment cet arbre parvient-il à transformer un événement potentiellement mortel en un avantage évolutif ?
Un colosse résistant à l’épreuve du feu céleste
En 2015, lors de recherches menées dans la forêt tropicale du Panama, le Dr Evan Gora fait une observation qui le laisse perplexe : au milieu d’une clairière où la foudre vient de s’abattre, il découvre un Dipteryx oleifera encore debout, indemne, alors que ses voisins ont été gravement endommagés ou tués par l’impact.
Intrigué, il commence à s’intéresser à cette espèce et se rend rapidement compte que ces arbres semblent survivre bien plus souvent aux coups de foudre que les autres. Plus étonnant encore, ils ne se contentent pas de survivre : ils prospèrent.
Pendant plusieurs années, Gora et son équipe ont étudié les effets de la foudre sur différentes espèces d’arbres dans le monument naturel de Barro Colorado, une île protégée au cœur du canal de Panama. Grâce à un système de détection des impacts de foudre, ils ont pu identifier 94 coups de foudre ayant touché directement 93 arbres. Les résultats sont stupéfiants :
Tous les Dipteryx oleifera de l’échantillon ont survécu à l’impact.
Leur état de santé s’est amélioré après la foudre, contrairement aux autres espèces.
En moyenne, un coup de foudre tue 56 % des arbres touchés, mais le D. oleifera en ressort renforcé.
Ces observations ont conduit les chercheurs à une conclusion inattendue : pour cet arbre, la foudre n’est pas une menace, mais un facteur de sélection naturelle qui lui donne un net avantage sur ses concurrents.
Pourquoi la foudre favorise-t-elle le Dipteryx oleifera ?
Les raisons exactes de cette résistance exceptionnelle restent encore floues, mais plusieurs hypothèses émergent.
D’une part, les chercheurs ont remarqué que ces arbres sont généralement plus hauts que leurs voisins. En moyenne, un Dipteryx oleifera dépasse de 4 mètres les autres arbres autour de lui, ce qui pourrait signifier qu’il est plus exposé aux éclairs. Pourtant, au lieu d’en souffrir, il en tire un avantage.
Comment ? En survivant là où les autres échouent. En effet, lorsqu’un D. oleifera est frappé, il absorbe l’impact et transmet l’électricité aux arbres environnants par ses branches ou par les lianes qui les relient. Résultat : ses concurrents meurent à sa place, lui laissant plus d’espace, plus de lumière et moins de compétition pour croître.
Cette capacité unique augmente considérablement ses chances de reproduction. L’équipe de Gora a calculé qu’un D. oleifera frappé par la foudre a 14 fois plus de chances d’assurer sa descendance qu’un arbre non touché. Un avantage considérable dans un environnement où la lutte pour la survie est impitoyable.
Un arbre foudroyé… tous les 56 ans
Si cette stratégie semble imparable, elle a tout de même ses limites. La foudre est fréquente sous les tropiques, mais pas au point de garantir qu’un Dipteryx oleifera en profite plusieurs fois dans sa vie. Selon les calculs des chercheurs, chaque arbre n’a qu’une chance d’être frappé tous les 56 ans en moyenne.
Ainsi, bien que cet avantage évolutif soit réel, il n’est pas suffisant pour faire de cet arbre l’espèce dominante des forêts tropicales. D’autres facteurs, comme sa sensibilité à la sécheresse ou son taux de mortalité élevé lorsqu’il est jeune, viennent contrebalancer ce super-pouvoir.
Néanmoins, cette découverte rapportée dans le New Phytologist apporte une nouvelle perspective sur l’évolution des arbres et la manière dont ils interagissent avec leur environnement. Elle soulève aussi des questions passionnantes : d’autres espèces d’arbres possèdent-elles ce type de résistance ? Pourrait-on s’inspirer de ces mécanismes naturels pour développer des matériaux ou des structures plus résistants aux orages ?
Un mystère encore partiellement élucidé
Les travaux de Gora laissent encore plusieurs questions sans réponse. Comment, exactement, le Dipteryx oleifera parvient-il à encaisser une telle décharge sans être gravement endommagé ? Des tests sur son écorce, sa structure cellulaire ou son système de conduction de la sève pourraient apporter des éléments de réponse.
Par ailleurs, les chercheurs ont identifié trois autres espèces qui semblent partager une tolérance à la foudre, mais des études plus poussées seront nécessaires pour confirmer cette hypothèse.
Enfin, bien que cette découverte ait été faite au Panama, le genre Dipteryx compte une douzaine d’espèces réparties en Amérique centrale et du Sud. Est-ce une capacité propre au D. oleifera, ou l’ensemble du genre bénéficie-t-il de cette étrange affinité avec la foudre ?
Pour l’instant, une chose est sûre : là où les autres voient la foudre comme un fléau, cet arbre particulier y voit une opportunité. Un arbre qui prospère grâce aux orages… Voilà une leçon de résilience que la nature nous offre encore une fois.
