Samedi dernier, le gouvernement a déposé un amendement visant à autoriser et ouvrir à la concurrence le marché des jeux de casino pratiqués en ligne. Un projet qui peut interroger dans la mesure où le développement de ces jeux d’argent représente une menace pour la santé publique, comme le rappelaient il y a un an quatre addictologues et un socio-épidémiologiste.
Le gouvernement a déposé samedi 19 octobre dernier un amendement au PLF (projet de loi de finances) 2025 pour « autoriser et ouvrir à la concurrence le marché des jeux de casino pratiqués en ligne ». Selon l’exécutif, cette ouverture « procède d’une mise en cohérence du cadre des jeux avec les principaux voisins européens, la France étant, avec Chypre, le seul pays de l’Union européenne à interdire les jeux de casino en ligne ».
En légalisant les casinos en ligne, les autorités souhaitent contrôler un marché en pleine croissance, aujourd’hui largement alimenté par des sites illégaux. De plus, l’Etat mise sur cette ouverture pour générer des emplois et 1 milliard de recettes fiscales par an. Le projet de loi est actuellement débattu au Parlement.
Le casino en ligne : une dépendance dangereuse
Ouvrir des casinos en ligne légaux est une aberration pour les chercheurs et professionnels travaillant sur la prévention des pratiques problématiques des jeux d’argent. Il y a un an, quatre addictologues et un socio-épidémiologiste ont par exemple publié une tribune dans Le Figaro rappelant que les casinos digitaux sont une menace pour la santé publique.
« Les jeux de casino en ligne (machines à sous digitales) cumulent tous les facteurs de risques de l’addiction aux jeux d’argent : fréquence élevée des mises, rapidité du résultat, grande occurrence des petits gains et fort taux de retour au joueur (part des mises retournées sous forme de gains aux joueurs). Ils créent une dépendance plus rapide que les autres types de jeux de hasard, en lien avec leurs prises de risque solitaires, continues et rapides, toutes les trois à quatre secondes, sans délai entre un jeu et le suivant », indiquent les experts..
Les joueurs sont ainsi piégés dans un cycle sans fin de paris, souvent inconscients de leurs pertes jusqu’à ce qu’il soit trop tard, ce qui mène parfois à des idées suicidaires. Selon les signataires de la tribune, 20 % des joueurs excessifs qui commencent des soins ont déjà tenté de se suicider.
Des arguments infondés
L’industrie a massivement investi dans la technologie pour rendre ces jeux toujours plus addictifs. Les joueurs sont confrontés à des distorsions cognitives : ils croient, à tort, qu’ils sont proches de la victoire, alors que le système est conçu pour les faire perdre. Une enquête menée en France montre que 45 % des joueurs de casino en ligne sont classés comme joueurs excessifs. Ils représentent 65 % du chiffre d’affaires. Cela monte à 80 % si on intègre les joueurs ayant des pratiques « à risque ». Le modèle économique des casinos en ligne repose donc sur les joueurs ne maîtrisant pas leur addiction.
Les lobbyistes plaidant pour la légalisation des jeux de casino en ligne en France affirment qu’elle permettra de protéger les joueurs, et de développer un nouveau secteur d’activité générateur d’emplois et de taxes pour l’État. Des arguments réfutés par les addictologues et le socio-épidémiologiste.
La canalisation de l’offre est justifiée par une demande en croissance constante. Pourtant, selon les signataires de la tribune, la diffusion du casino en ligne concernerait que 300 000 personnes maximum. Loin, donc, de la « croissance exponentielle » présentée par des sondages contestables.
« Cette nouvelle offre de jeux serait accompagnée de mesures pour la sécuriser. On peut avoir à ce sujet les plus grands doutes vis-à-vis de jeux que de nombreux acteurs du champ des addictions au plan international qualifient de « crack/cocaïne des jeux d’argent », en raison des très fortes prévalences de problèmes générés par leur pratique. Leur sécurisation visant à les rendre moins dangereux nécessiterait une interdiction stricte de toute publicité, la limitation des mises et des dépôts… Bref, une déconstruction complète de leur mécanisme addictif », poursuivent les scientifiques.
Les mesures de régulation actuelles pour les jeux en ligne, comme les paris sportifs, montrent que l’industrie est peu contrainte, notamment en matière de publicité, ce qui laisse craindre une problématique similaire pour les casinos en ligne.

Quid de l’éthique ?
Dans leur tribune, les signataires affirment que l’hypothèse de création d’un nouveau secteur d’activité ne tient pas la route. Les Français ne sont pas capables de dépenser sans compter dans les jeux d’argent. La prospérité de cette nouvelle filière de jeu va plutôt s’effectuer au détriment des autres, et ainsi entraîner un déséquilibre.
« Il ne s’agit pas de défendre une filière plus qu’une autre, mais d’éviter de promouvoir les activités potentiellement les plus problématiques dans une logique de régulation et de réduction des risques. On ne peut se satisfaire sur le plan éthique de favoriser une activité économique, et la manne fiscale au bénéfice de l’État correspondante, dont l’essentiel du chiffre d’affaires serait généré par les joueurs compulsifs et toute la détresse humaine liée à leur activité ? », alertent les experts.
L’ouverture d’une offre légale de jeux en ligne en 2010 a multiplié par 3 les problématiques de jeu. Les jeunes majeurs sont les principaux concernés. L’autorisation des casinos en ligne risquerait d’aggraver cette tendance et de saper les efforts de prévention, alors que l’expérience internationale montre que ces jeux sont pratiquement impossibles à réguler de manière efficace.
Les casinos terrestres menacés de mort
Le directeur général du groupe Barrière et président du syndicat Casinos de France Grégory Rabuel affirme également dans Les Echos que l’ouverture des casinos en ligne aura des conséquences dramatiques sur la santé publique. « Ces plateformes présentent le plus grand risque d’addiction, et notamment pour les plus jeunes », rappelle-t-il.
De plus, Grégory Rabuel indique que l’Etat et les collectivités vont perdre 450 millions d’euros de taxe fournies par les casinos traditionnels : « Du jour au lendemain, 30 % des petits casinos vont fermer avec l’ouverture des plateformes en ligne. Ceux qui vont survivre à la concurrence perdront entre 20 et 30 % de leur chiffre d’affaires, selon l’ANJ (Autorité nationale des jeux). Je ne vois donc pas l’intérêt fiscal de cette mesure ».
Le directeur général du groupe Barrière estime également que le secteur pourrait supprimer 15 000 emplois français, qui sont répartis sur tout le territoire et dans la ruralité. « Le projet du gouvernement est totalement irréfléchi, sans aucune concertation avec les parties prenantes. On ne va pas se laisser faire », prévient Grégory Rabuel.
L’autorisation des casinos en ligne ne convainc pas non plus la FDJ (Française des jeux) : « Nous accueillons avec réserves l’amendement déposé par l’exécutif, qui ne précise pas les conditions de cette éventuelle ouverture ». L’opérateur souligne également « toutes les études montrent que les casinos en ligne présentent plus de risques que les autres jeux d’argent et de hasard, avec des phénomènes d’addiction qui pourraient augmenter et une offre illégale qui ne disparaîtrait pas pour autant »..