Pendant des décennies, les scientifiques pensaient que les ankylosauridés – ces dinosaures cuirassés dotés de queues massives en forme de massue – avaient disparu d’Amérique du Nord entre 100 et 84 millions d’années. Aucun fossile osseux de cette famille emblématique n’avait été retrouvé dans cette période mystérieusement vide. Une série d’empreintes fossilisées découvertes dans les Rocheuses canadiennes vient aujourd’hui bouleverser cette certitude.
Une piste ancienne… et inattendue
Tout commence dans les paysages escarpés de Tumbler Ridge (Colombie-Britannique) et du nord-ouest de l’Alberta, au cœur des Rocheuses canadiennes. Là, sur les affleurements rocheux balayés par les vents, une équipe de paléontologues a mis au jour des empreintes vieilles de 100 millions d’annéesvlaissées par un dinosaure lourdement blindé et jamais identifié jusqu’ici : Ruopodosaurus clava. Son nom, qui signifie « lézard renversé avec une massue », fait à la fois référence au relief montagneux du site et à la queue redoutable de l’animal – une arme naturelle probablement utilisée contre les prédateurs.
Mais ce qui rend la découverte véritablement exceptionnelle, c’est le fait que ces empreintes ne présentent que trois doigts. Or, toutes les traces d’ankylosaures connues jusque-là en Amérique du Nord – comme celles du célèbre Tetrapodosaurus borealis – étaient associées à des nodosauridés, les cousins des ankylosauridés, qui possédaient quatre doigts et une queue souple. Ces nouvelles empreintes à trois orteils sont donc les toutes premières jamais attribuées avec certitude à un ankylosauridé, au niveau mondial.
Une silhouette cuirassée revenue du passé
Selon les analyses menées par la Dre Victoria Arbour, paléontologue au Royal BC Museum, Ruopodosaurus clava devait mesurer entre 5 et 6 mètres de long. Il était sans doute doté d’une cuirasse osseuse recouvrant son dos et ses flancs, comme tous les ankylosaures, et sa queue rigide se terminait par une lourde massue osseuse, suffisamment puissante pour fracturer les os d’un prédateur.
Les empreintes remontent au Crétacé moyen, une période située entre 100 et 94 millions d’années. Or, cette époque est un véritable trou noir fossilifère pour les ankylosauridés nord-américains : aucun os, aucun reste direct n’en avait été retrouvé jusqu’ici. L’apparition de ces empreintes comble donc un vide critique dans notre connaissance de l’évolution de ces dinosaures.

Redéfinir la carte des dinosaures cuirassés
La découverte de Ruopodosaurus clava révèle que les deux principales familles d’ankylosaures – les nodosauridés (à queue souple et quatre orteils) et les ankylosauridés (à massue et trois orteils) – coexistaient donc dans la même région, à la même époque. Cela suggère que la diversité des dinosaures blindés en Amérique du Nord était bien plus grande qu’on ne le pensait.
Cette découverte est également un bel hommage au travail de terrain sur le long terme. Le Dr Charles Helm, du Tumbler Ridge Museum, avait repéré ces empreintes il y a plusieurs années et avait invité Arbour à les étudier. Ensemble, avec l’aide de plusieurs institutions locales, ils ont pu interpréter ces traces et les publier dans le Journal of Vertebrate Paleontology.
Un simple pas, une révolution scientifique
Cette étude rappelle un principe fondamental en paléontologie : les empreintes peuvent parler là où les os se taisent. Même en l’absence de squelettes, une simple trace bien conservée peut suffire à réécrire une partie de l’histoire de la vie sur Terre.
Pour les chercheurs, Ruopodosaurus clava n’est pas juste un nouveau nom à ajouter à une longue liste. Il est une pièce manquante du grand puzzle de l’évolution des dinosaures, et surtout la preuve que notre compréhension de ces créatures anciennes est encore pleine de zones d’ombre. D’autres géants oubliés attendent peut-être, eux aussi, d’être redécouverts sous nos pieds, empreinte après empreinte.