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Des chercheurs percent les sombres secrets de la momie hurlante

Des chercheurs percent les sombres secrets de la momie hurlante

  • jeudi 8 août 2024
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Si les pyramides, les statues, les artefacts et les hiéroglyphes émerveillent chaque génération qui se suit, les momies, figées à travers le temps grâce à la momification, offrent elles aussi un témoignage précieux et passionnant du passé souvent énigmatique de l’Égypte ancienne. Certaines d’entre elles se démarquent toutefois en affichant un visage déformé par l’agonie pour la postérité. Ces visages qui semblent crier peuvent ainsi autant fasciner qu’effrayer tout en nous en apprenant beaucoup sur les pratiques funéraires et les maladies de cette époque reculée. L’une de ces dépouilles, la momie hurlante, interroge les archéologues depuis sa découverte en 1935 à Deir el-Bahar, non loin de Louxor.


Pour comprendre d’où lui vient cette expression de douleur éternelle, des chercheurs ont réalisé une dissection digitale complète de la défunte avec des techniques d’imagerie récentes. Très sombres, les résultats de cet examen médico-légal publiés le 2 août 2024 dans la revue Frontiers in Mddicine livrent de tristes détails sur la vie et surtout les derniers jours de cette femme morte il y a environ 3500 ans dont les traits rappellent étrangement ceux du personnage du Cri d’Edvard Munch.

Une dissection digitale de la momie hurlante

Lors de l’expédition menée il y a plus d’un siècle par le Metropolitan Museum of Art de New York, les archéologues ne s’attendaient pas à découvrir les restes momifiés d’une femme au visage agonisant. Trouvé sous la tombe de Senmut, un architecte très important du temple de la reine égyptienne Hatschepsout (1479-1458 av. J.-C., dix-huitième dynastie) qui était un parent, son corps momifié fait aujourd’hui partie de la collection du Musée égyptien du Caire tandis que le cercueil dans lequel il reposait a rejoint le musée américain. Et si de nombreuses années nous séparent du premier regard posé sur son expression marquante, elle n’a jamais cessé de hanter les experts, avides de percer les secrets de sa mort apparemment affreuse.

Grâce aux technologies actuelles, c’est désormais chose faite. En effet, Sahar N. Saleem (du Département de Radiologie de la faculté de médecine Kasr Al Ainy au sein de l’Université du Caire) et Samia El-Merghani (du ministère du Tourisme et des Antiquités d’Égypte également basé au Caire) se sont penchées sur l’histoire de la momie hurlante. Grâce à la tomodensitométrie (ou CT-Scan), un examen radiologique pour obtenir des images détaillées du corps humain en trois dimensions, et en complétant avec l’imagerie à infrarouge, il a en effet été possible de révéler des détails passionnants sur la morphologie, la santé et la préservation de ce corps. En bref, cela a permis de ‘disséquer’ le corps sans risquer de l’abîmer.


momie hurlante scan
Crédits : Sahar Saleem

Que sait-on sur elle ?

À en croire l’analyse de son bassin, le corps appartenait à une femme anonyme morte à l’âge de 48 ans qui faisait 1m54, ici présentée avec « une perruque divisée en deux parties de chaque côté de sa tête, tressée avec ses cheveux épars » comme l’explique le rapport. Les images ont révélé une dentition en partie abîmée avec quelques dents manquantes. Les techniques de paléoradiologie utilisées montrent aussi que cette personne souffrait d’une légère arthrite de la colonne vertébrale sans athérosclérose.

Une momification bâclée ?

Ces analyses ont surtout livré des détails étonnants sur le processus d’embaumement en confirmant notamment, de par l’absence d’incisions sur le corps, que la dépouille présentait toujours son cerveau, son cœur, ses poumons, son foie, sa rate, ses reins et ses intestins au moment de la momification. Cela tranche ainsi avec les rituels de l’époque qui impliquaient normalement de retirer tous les organes internes à l’exception du cœur pour une meilleure conservation. Malgré cela, le corps s’est remarquablement bien conservé à travers le temps, mais faut-il pour autant conclure de cet oubli que la momification a été mal réalisée ?

Cette possibilité pourrait paraître amplifiée par le fait que les embaumeurs prenaient généralement soin de fermer la bouche des défunts en l’enveloppant, chose qui n’a manifestement pas été faite ici. « Dans l’Égypte ancienne, les embaumeurs prenaient soin du corps pour qu’il soit beau dans l’au-delà. C’est pourquoi ils tenaient à fermer la bouche du mort en attachant la mâchoire à la tête afin d’empêcher la chute normale de cette dernière post-mortem », explique en effet Sahar Saleem.


Toutefois, les chercheuses émettent des doutes sur l’idée d’une momification peu soignée, le corps ayant ici été embaumé avec de la résine d’oliban et de genévrier, des substances onéreuses probablement importées de loin pour l’occasion. De plus, le rapport souligne qu’« ils l’ont bien momifiée et lui ont donné des vêtements funéraires coûteux : deux anneaux en or et en argent, et une longue perruque faite de fibres de palmier dattier », traitée pour l’occasion avec des cristaux de quartz, de magnétite et d’albite tandis que ses cheveux naturels grisonnants avaient été teints avec du henné et du genévrier. Les spécialistes ont toutefois présenté une autre théorie pour expliquer l’expression de la momie.

momie hurlante image en couleur
Crédits : Sahar Saleem

Alors, pourquoi la momie hurlante… hurle-t-elle ?

Selon l’étude, qui n’a pas réussi à déterminer les circonstances et les causes de la mort avec certitude, cette difformité pourrait tout simplement s’expliquer par une forme rare et immédiate de rigor mortis (ou rigidité cadavérique). Habituellement progressif, ce phénomène qui survient après la mort au niveau des muscles peut s’expliquer par un décès physiquement violent ou des émotions intenses. « L’expression faciale hurlante de la momie dans cette étude pourrait être interprétée comme un spasme cadavérique, impliquant que la femme est morte en hurlant d’agonie ou de douleur », explique ainsi Sahar Saleem. Si elle a été momifiée seulement 18 à 36 heures après sa mort, son corps n’a alors pas eu le temps de se relaxer ou de se décomposer, gardant ainsi cette expression troublante sur son visage.

Les chercheuses insistent toutefois sur le fait que ces traits n’indiquent pas forcément comment une personne se sentait au moment de sa mort. D’autres facteurs tels que les processus de décomposition, la vitesse de dessiccation comme de séchage tout comme les pressions exercées en fonction de la manière dont le corps est conditionné peuvent aussi affecter l’apparence faciale des momies et contribuer à leur donner cette expression impressionnante.


L’étude des momies est en tout cas cruciale pour comprendre les us et coutumes (notamment entourant la momification et le commerce des matériaux d’embaumement), les substances disponibles et la manière dont elles étaient utilisées ainsi que les maladies et problèmes de santé de l’époque. « La ‘Femme qui crie’ est une véritable capsule temporelle de la façon dont elle est morte et a été momifiée », conclut Sahar Saleem.

Retrouvez l’étude ici.

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