Peu connue du grand public, la langue navajo, parlée dans le sud-ouest des États-Unis, est souvent qualifiée de plus difficile au monde à apprendre. Complexité grammaticale, richesse phonétique, subtilités culturelles : tout semble se liguer pour en faire un véritable casse-tête linguistique. Pourtant, derrière cette difficulté se cache un trésor culturel en péril.
Une langue aux tonalités déconcertantes
Le navajo, ou Diné Bizaad (« langue du peuple »), est une langue tonale, ce qui signifie que l’intonation d’un mot peut complètement en changer le sens. Elle distingue quatre tons : aigu, grave, montant et descendant. Ce seul élément suffit déjà à dérouter les débutants. À cela s’ajoutent des voyelles longues, brèves, et nasales, qui modifient également le sens des mots. Par exemple, bita’ signifie « au milieu de », tandis que bitaa’ veut dire « son père ».
Mais la difficulté ne s’arrête pas là. Le navajo possède 33 consonnes et 12 voyelles, bien plus que l’anglais. Certains sons sont totalement absents des langues européennes, comme le ł, produit en expirant de chaque côté de la langue, ou encore le ʒ (comme le « j » français), très peu courant en anglais. Autant d’éléments qui rendent même l’écoute de la langue déroutante pour les non-initiés.
Une grammaire d’une extrême complexité
La grammaire du navajo est un défi à part entière. C’est une langue polysynthétique : un seul verbe peut exprimer ce qui, en français ou en anglais, nécessiterait une phrase entière. La conjugaison est d’une richesse exceptionnelle : plus de sept formes verbales, douze aspects et dix sous-aspects. Chaque verbe varie en fonction de la manière dont une action est effectuée — une fois, plusieurs fois, de manière continue, etc.
Et ce n’est pas tout. Le verbe « donner », par exemple, change selon la nature de l’objet donné : s’il est long, plat, souple, vide ou plein, le mot utilisé sera différent. Autrement dit, parler navajo, c’est aussi observer le monde avec précision.
L’animité : une hiérarchie grammaticale unique
Contrairement à la plupart des langues européennes, le navajo ne repose pas sur une distinction de genre, mais sur un concept appelé animité. Les mots sont classés selon leur degré de vitalité : les humains en tête, suivis des animaux, des objets, puis des idées abstraites. Cette hiérarchie influence l’ordre des mots dans la phrase : plus un mot est « animé », plus il est placé en début de phrase.
Cette logique, profondément ancrée dans la vision du monde navajo, nécessite une réorganisation mentale complète pour les apprenants issus d’autres cultures.
Une langue en péril
Bien que le navajo soit encore l’une des langues amérindiennes les plus parlées aux États-Unis, elle est considérée comme gravement menacée. En 1970, 90 % des enfants navajos parlaient leur langue en internat. Trente ans plus tard, cette proportion s’était inversée : les jeunes entrants à l’école primaire parlaient majoritairement anglais, voire exclusivement.
Les raisons de ce déclin sont multiples. Historiquement, l’école et les institutions religieuses ont imposé une assimilation forcée, interdisant aux enfants de parler leur langue. Sur le plan économique, l’anglais reste la clé d’un avenir professionnel. Enfin, sur le plan social, certains jeunes préfèrent taire leur langue maternelle pour éviter les moqueries ou atténuer la discrimination.
Des efforts pour préserver un patrimoine unique
Face à cette situation, des initiatives ont vu le jour. Certaines universités, comme l’Arizona State University, proposent désormais des cours de navajo, du niveau licence au master. Des programmes communautaires tentent aussi de réconcilier les jeunes générations avec leur héritage linguistique.
Et il y a de quoi espérer. La population navajo est en croissance, passant de 300 000 membres en 2020 à près de 400 000 en 2021. Si la langue suit cette dynamique, elle pourrait, avec le soutien nécessaire, retrouver sa place dans le quotidien des nouvelles générations.
Langue d’une rare complexité, le navajo n’est donc pas seulement un outil de communication, mais un pilier de l’identité culturelle d’un peuple. Sa grammaire labyrinthique, sa sonorité unique et sa richesse sémantique en font un défi fascinant. Un défi qu’il est urgent de relever, si l’on veut que cette langue millénaire continue de vivre.