Imaginez un prédateur féroce de la taille d’un léopard qui régnait en maître sur les forêts africaines il y a trente millions d’années. Doté d’une mâchoire puissante et de dents acérées, cet animal dominait la chaîne alimentaire et chassait les primates, premiers éléphants et hippopotames ancestraux. Cette créature désormais disparue vient de refaire surface grâce à une découverte exceptionnelle en Égypte. Une équipe de paléontologues a en effet mis au jour un crâne presque complet dans le désert du Fayoum qui a permis d’identifier une nouvelle espèce de hyénodonte, un groupe éteint de mammifères carnivores. Baptisé Bastetodon en hommage à la déesse égyptienne Bastet, ce prédateur apporte un éclairage inédit sur l’évolution des carnivores en Afrique.
Qui était Bastetodon ? Un prédateur redoutable
Bastetodon était un mammifère carnivore de taille impressionnante, comparable à un léopard. Son crâne robuste et sa dentition spécialisée indiquent une morsure puissante, adaptée pour broyer les os et déchiqueter la chair de ses proies. Contrairement aux félins et canidés actuels, il appartenait à un groupe de prédateurs disparus, les hyénodontes, qui régnaient sur les écosystèmes africains avant l’arrivée des carnivores modernes.
Notez que malgré leur nom, les hyénodontes ne sont pas apparentés aux hyènes. Ils formaient une lignée distincte de superprédateurs. Leur rôle écologique était cependant le même : en tant que prédateurs de haut niveau, ils régulaient les populations de grands herbivores et maintenaient l’équilibre des écosystèmes.
Un voyage dans le temps : l’Égypte il y a trente millions d’années
À l’époque où Bastetodon régnait sur son territoire, le paysage du Fayoum était méconnaissable par rapport à ce qu’il est aujourd’hui. Ce qui est maintenant une vaste étendue désertique balayée par des vents brûlants était alors une forêt tropicale dense et luxuriante. De larges rivières sillonnaient cette région, créant un environnement fertile où proliféraient une faune et une flore extrêmement diversifiées. Ce climat chaud et humide favorisait le développement d’écosystèmes complexes qui offraient aux animaux une abondance de ressources alimentaires et d’abris naturels.
Parmi les habitants de cette ancienne forêt figuraient de petits primates, les ancêtres lointains des singes modernes. Ces mammifères arboricoles vifs et agiles se nourrissaient principalement de fruits, de feuilles et d’insectes. Leur mode de vie dans la canopée les protégeait en partie des prédateurs terrestres, mais ils restaient des proies potentielles pour un chasseur aussi redoutable que Bastetodon. Ces primates faisaient partie des premières étapes de l’évolution qui conduiraient des millions d’années plus tard aux grands singes et aux humains.
Aux côtés de ces primates évoluaient des proboscidiens primitifs, les ancêtres des éléphants modernes. Bien qu’ils fussent plus petits que leurs descendants actuels, ils partageaient certaines caractéristiques avec eux, notamment une trompe rudimentaire et de puissantes défenses. Ces herbivores parcouraient les rives des rivières, à la recherche de végétation abondante pour se nourrir. Leur taille leur procurait un certain avantage contre les prédateurs, mais même eux n’étaient pas totalement à l’abri d’un chasseur opportuniste comme Bastetodon, capable de s’attaquer aux individus jeunes ou affaiblis.
Les hippopotames ancestraux faisaient également partie de cet écosystème unique. Ces créatures semi-aquatiques vivaient dans les rivières et les marécages de l’époque, où elles trouvaient refuge contre la chaleur et les prédateurs. Bien qu’ils soient aujourd’hui perçus comme des herbivores pacifiques, les hippopotames modernes possèdent une agressivité marquée, et leurs ancêtres ne devaient pas être bien différents. Toutefois, leur présence constante dans les cours d’eau ne les immunisait pas contre les attaques des carnivores embusqués, prêts à les surprendre lors de leurs déplacements terrestres.
Enfin, on trouvait aussi les damans, de petits mammifères étonnamment proches des éléphants sur le plan évolutif. Ces animaux d’apparence modeste et de la taille d’un lapin étaient bien adaptés aux forêts tropicales et vivaient en colonies. Ils représentaient probablement une proie facile pour Bastetodon, en raison de leur petite taille et de leur vulnérabilité face aux grands prédateurs de l’époque.

Pourquoi Bastetodon a-t-il disparu ?
Malgré sa position dominante dans la chaîne alimentaire, Bastetodon et les autres hyénodontes ont fini par disparaître, laissant place aux prédateurs modernes. Leur extinction ne s’est pas produite du jour au lendemain, mais a été le résultat d’un enchaînement de transformations environnementales et biologiques qui ont bouleversé l’équilibre des écosystèmes où ils régnaient.
L’un des facteurs majeurs de cette disparition est le changement climatique. À la transition entre l’Éocène et l’Oligocène, il y a environ 34 millions d’années, la planète a connu un refroidissement marqué qui a modifié profondément les habitats naturels. Les vastes forêts tropicales qui couvraient autrefois des régions comme le Fayoum ont progressivement laissé place à des environnements plus arides et ouverts, ce qui a ainsi réduit les zones propices aux hyénodontes. Moins d’arbres signifiait moins de cachettes et une modification du comportement de leurs proies, ce qui a compliqué la survie de ces redoutables prédateurs.
Parallèlement, la tectonique des plaques a joué un rôle crucial dans l’évolution de la faune africaine. À mesure que le continent africain s’ouvrait et se rapprochait de l’Eurasie, de nouvelles espèces de carnivores ont pu migrer vers ces territoires. Les premiers félins et canidés, plus agiles, plus endurants et dotés d’une meilleure capacité d’adaptation, ont peu à peu remplacé les hyénodontes. Ces nouveaux prédateurs issus de lignées plus modernes ont apporté une concurrence féroce qui a accéléré le déclin des hyénodontes.
L’évolution des mammifères herbivores, qui constituaient les principales proies des hyénodontes, a également été un facteur déterminant. Face aux prédateurs, ces animaux ont développé des adaptations pour mieux échapper à la chasse : des membres plus longs pour la course, des sens plus aiguisés pour détecter les menaces ou encore des comportements sociaux qui favorisent la protection collective. Ces évolutions ont rendu la chasse plus difficile pour les hyénodontes, déjà confrontés à une diminution de leurs ressources.
Peu à peu, la diversité des hyénodontes s’est donc réduite. Ceux qui parvenaient encore à survivre ont vu leur niche écologique se restreindre, jusqu’à leur extinction complète. Ainsi, Bastetodon et ses congénères ont disparu et cédé leur place aux carnivores modernes. Leur disparition marque la fin d’une ère, mais elle nous rappelle aussi l’importance des interactions entre climat, faune et évolution dans l’histoire de la vie sur Terre.