Nous avons tous déjà vécu cette expérience un peu étrange : essayer de se chatouiller soi-même. Peut-être l’avez-vous fait en plaisantant, en cherchant à recréer la sensation souvent hilarante que procure le chatouillement. Pourtant, malgré tous vos efforts, vous ne parvenez jamais à vous chatouiller de la même manière que lorsque quelqu’un d’autre le fait. Pourquoi est-ce impossible ? La réponse réside dans le fonctionnement fascinant de notre cerveau et dans la manière dont il traite les sensations.
Le cerveau, la prévision des actions et l’atténuation des sensations autogénérées
La raison principale pour laquelle nous ne pouvons pas nous chatouiller soi-même réside dans la capacité de notre cerveau à anticiper nos actions. Comme l’explique le neuroscientifique David Eagleman de l’Université de Stanford, « le cerveau n’est pas simplement réactif ; il essaie de deviner ce qui va se passer ensuite ». Avant même que vous n’effectuiez un geste, votre cerveau envoie donc des messages aux muscles et aux zones sensorielles pour préparer le corps à la sensation attendue.
Prenons l’exemple simple de saisir un crayon : votre cerveau anticipe le mouvement avant même que vos muscles ne bougent. Il envoie simultanément des signaux aux zones responsables du toucher et de la vision pour prédire les sensations qui accompagneront l’action. Cette anticipation est cruciale pour coordonner le mouvement et ajuster les réponses sensorielles de manière fluide et précise.
En ce qui concerne le chatouillement, le même principe s’applique. Lorsque vous tentez de vous chatouiller, votre cerveau anticipe déjà la sensation, ce qui la rend prévisible et donc moins intense. Cette atténuation est un phénomène connu sous le nom de diminution de l’efficacité sensorielle. Étant donné que vous savez à l’avance ce que vous ressentez, le cerveau ne juge pas nécessaire de prêter une attention particulière à cette sensation. Résultat : le chatouillement n’a quasiment aucun effet.
Pourquoi le chatouillement fonctionne-t-il avec autrui ?
Lorsque quelqu’un d’autre vous chatouille, le scénario est très différent. Le cerveau ne sait pas exactement ce qui va se produire, car l’action n’est pas initiée par vous-même. En conséquence, il ne peut pas prédire la sensation de manière précise, ce qui la rend beaucoup plus intense. Le chatouillement repose en quelque sorte sur l’effet de surprise et l’incertitude. Il devient difficile pour le cerveau de traiter l’impact de la sensation, car il est pris de court par un stimulus extérieur.
Imaginons que vous marchez sur un chemin familier et que vous entendez des pas derrière vous. Si ce bruit correspond à ce que vous attendez, votre cerveau l’ignore, car il ne représente pas une menace. Cependant, si les pas deviennent plus rapides ou plus forts, votre cerveau y prêtera instantanément attention, car cela pourrait signifier qu’un danger se rapproche, ce qui vous incitera à ajuster votre comportement. Ce genre d’exemple illustre comment notre cerveau réagit aux sons ou aux stimuli auxquels nous nous attendons, et comment il s’active en cas de différence ou d’anomalie.

L’exception : les personnes atteintes de schizophrénie
Ce phénomène n’est toutefois pas universel. Les personnes atteintes de schizophrénie rencontrent par exemple des difficultés à distinguer les actions qu’elles initient de celles qui viennent de l’extérieur. Cette altération de la capacité à anticiper leurs actions pourrait expliquer pourquoi certaines d’entre elles seraient capables de se chatouiller elles-mêmes.
Selon David Eagleman, ce manque de prévision est lié à un dysfonctionnement dans le système de prédiction du cerveau. Pour ces personnes, la frontière entre l’action autogénérée et l’action extérieure devient floue. Ce phénomène les empêche de minimiser la sensation de chatouillement lorsqu’elles tentent de se chatouiller, ce qui pourrait expliquer pourquoi elles peuvent ressentir un chatouillement lorsqu’elles sont en contact avec elles-mêmes.
En résumé : un mécanisme de survie ?
La raison pour laquelle nous ne pouvons pas nous chatouiller nous-mêmes semble donc résider dans un mécanisme de survie du cerveau. En anticipant et en atténuant les sensations de nos propres actions, le cerveau nous aide à mieux détecter les dangers potentiels qui viennent de l’extérieur. Cette capacité à réduire l’intensité des stimuli internes nous permet de rester plus vigilants face aux menaces, qu’elles soient auditives, visuelles ou tactiles.
Le chatouillement, un phénomène qui semble simple et amusant, nous révèle donc bien plus que ce que l’on pourrait imaginer. Il nous montre à quel point notre cerveau est sophistiqué dans sa gestion des sensations et de la perception tout en soulignant l’importance de la surprise et de l’imprévisibilité dans notre quotidien.