Lorsqu’une personne perd connaissance, les témoins se précipitent généralement pour lui venir en aide. Toutefois, il semblerait que nous ne soyons pas les seuls à agir ainsi. Une étude révolutionnaire vient en effet de révéler que les souris tentent elles aussi de ranimer leurs congénères inconscients en employant une technique de réanimation inattendue qui rappelle étonnamment nos premiers secours. Tout comme les rats, un autre rongeur très sociable, les souris pourraient ainsi être bien plus compatissantes que nous ne l’imaginions. Les résultats, publiés dans la revue Science Advances le 21 février 2025, suggèrent en outre que l’instinct d’aider d’autres membres de notre espèce en détresse pourrait être profondément enraciné dans notre héritage mammalien, ce qui remet profondément en question nos idées reçues sur l’altruisme dans le règne animal.
Ce comportement n’est pas inconnu dans le monde animal. Des observations de mammifères sociaux au cerveau développé portant secours à des congénères en difficulté ont d’ores et déjà été rapportées. Par exemple, les chimpanzés sauvages touchent et lèchent leurs pairs blessés, les dauphins peuvent tenter de pousser un compagnon en détresse vers la surface pour lui permettre de respirer et des éléphants apportent leur aide à des proches malades. Cependant, les comportements assimilables aux premiers secours n’avaient jamais été étudiés en détail chez de plus petits mammifères, ce qui rend cette étude particulièrement fascinante.
Des souris qui portent secours à leurs compagnons inanimés
Une équipe dirigée par Wenjian Sun, de l’Université de Californie du Sud à Los Angeles (États-Unis), a mené une série d’expériences pour observer comment les souris réagissent face à des congénères inertes dans des conditions de laboratoire contrôlées. Les chercheurs ont placé des souris dans des cages avec des compagnons inconscients, immobiles ou décédés, et ont analysé leur comportement. Sur une période de treize minutes d’observation, les rongeurs ont consacré en moyenne 47 % de leur temps à interagir avec leur compagnon inconscient en trois types de comportements distincts.
Si elles reconnaissaient leur congénère, les souris prenaient particulièrement soin de lui : elles s’approchaient, le reniflaient et lui léchaient le pelage. Un comportement frappant a été observé : elles se concentraient particulièrement sur le visage et la gorge de l’animal en lui léchant les yeux ou mordillant sa bouche. En voyant ce compagnon rester de plus en plus inerte, la souris secouriste adoptait ensuite des gestes plus énergiques. Dans plus de la moitié des expériences, elle allait jusqu’à tirer la langue de l’animal inconscient hors de sa bouche afin de dégager ses voies respiratoires. Lorsqu’un corps étranger (comme une petite bille en plastique) était placé dans la bouche de la souris inconsciente, la souris aidante le retirait dans 80 % des cas avant de s’attaquer à la langue. Ces tentatives de réanimation ont également été observées sur des souris mortes, mais pas sur celles qui dormaient simplement.
Autre fait marquant : les souris anesthésiées ou sédatées qui ont bénéficié de cette assistance se réveillaient plus rapidement que celles non secourues. Et dès qu’elles retrouvaient conscience, les souris aidantes cessaient immédiatement leur intervention, ce qui montre clairement qu’elles ne portaient secours que lorsque cela était nécessaire.

Pourquoi un tel comportement chez les souris ?
L’une des grandes questions soulevées par cette étude était de savoir si ces actions relevaient d’un simple réflexe ou si elles témoignaient d’une véritable compréhension de la détresse. Pour y répondre, les chercheurs ont répété l’expérience sur cinq jours et ont constaté que les souris continuaient invariablement leurs tentatives de réanimation. De plus, elles étaient bien plus enclines à aider un compagnon familier plutôt qu’un étranger, un résultat cohérent avec les recherches antérieures sur les liens sociaux et l’empathie chez les animaux.
Bien qu’il soit difficile de déterminer avec certitude si les souris comprennent réellement les conséquences de leurs actions, leur préférence pour les individus connus et la répétition des gestes de secours sur plusieurs jours suggèrent qu’il s’agit de bien plus qu’un simple comportement automatique, de curiosité ou d’une simple volonté d’interaction sociale réciproque. Par ailleurs, le sexe des souris ne semblait pas influencer ce comportement.
Dans un commentaire publié dans la revue Science, William Sheeran et Zoe Donaldson, de l’Université du Colorado à Boulder affirment d’ailleurs que ces comportements rappellent la manière dont les humains sont formés à dégager les voies respiratoires lors d’une réanimation cardio-pulmonaire. Selon eux, il s’agit vraisemblablement d’un comportement social inné partagé par de nombreuses espèces.
Que se passe-t-il dans leur cerveau ?
Ces recherches se sont également penchées sur la base neurologique de ce comportement de secours. Des scanners cérébraux ont montré qu’en présence d’un congénère inconscient, l’amygdale médiane (une région du cerveau impliquée dans le traitement social) s’activait fortement. Les chercheurs ont également détecté une forte augmentation du taux d’ocytocine, souvent surnommée l’hormone de l’amour, dans le cerveau des souris secouristes. Or, l’ocytocine joue un rôle crucial dans les liens sociaux, le soin maternel et l’empathie, ce qui renforce l’idée que ces comportements de sauvetage pourraient effectivement être motivés par des liens émotionnels et sociaux plutôt que par un simple instinct.
Fait intéressant : une région cérébrale différente était activée lorsque les souris interagissaient avec un compagnon stressé, mais toujours conscient. Cette distinction suggère que les souris pourraient posséder des circuits neuronaux spécialisés pour répondre à différents types de détresse, qu’elle soit émotionnelle ou physique. Les comportements observés et données récoltées laissent en tout cas penser que ces rongeurs possèdent une forme primitive de compassion, autrefois pourtant considérée comme l’apanage des humains et des mammifères les plus intelligents.
Vous pouvez découvrir l’étude en détail en suivant ce lien.