Depuis la première explosion nucléaire de l’histoire, lors du test Trinity en 1945, les armes nucléaires ont marqué un tournant dans l’histoire militaire et technologique du monde. Pourtant, malgré les progrès réalisés en matière de science et de technologie, la fabrication d’armements nucléaires reste un défi scientifique et technique majeur, même pour les nations les plus avancées. Pourquoi ? Au-delà de la théorie et des connaissances fondamentales, plusieurs obstacles complexes rendent leur production non seulement coûteuse, mais aussi risquée.
Le défi de l’uranium : l’enrichissement du U-238
Au cœur de toute arme nucléaire se trouvent les matières fissiles : l’uranium et le plutonium. Commençons par l’uranium. Dans sa forme naturelle, l’uranium est principalement composé d’uranium-238 (238 particules dans son noyau, dont 92 protons et 146 neutrons) qui, bien que fissile, n’est pas assez réactif pour être directement utilisé dans une réaction nucléaire. L’isotope U-238 a en effet une probabilité beaucoup plus faible de capturer des neutrons à faible énergie, ce qui le rend moins apte à déclencher une réaction en chaîne. Par conséquent, l’uranium naturel doit être transformé pour être utilisé dans une arme nucléaire.
C’est ici qu’intervient l’enrichissement de l’uranium. L’objectif est d’augmenter la proportion de l’isotope uranium-235 (U-235) qui est beaucoup plus réactif et fissile que l’U-238. L’enrichissement se fait en transformant l’uranium en gaz (hexafluorure d’uranium), puis en le centrifugeant à grande vitesse. Grâce à la différence de masse entre l’U-235 et l’U-238, les centrifugeuses séparent les deux isotopes, concentrant ainsi l’U-235, ce qui le rend plus facilement utilisable pour provoquer une réaction de fission.
Pour obtenir de l’uranium de qualité militaire, il faut convertir plus de 90 % de l’uranium extrait en U-235. Or, ce processus long et énergivore nécessite des équipements spécialisés et d’importantes ressources. De plus, l’enrichissement comporte des risques chimiques considérables, en raison de la toxicité de l’hexafluorure d’uranium (UF₆) qui peut endommager gravement les organes vitaux si elle est inhalée.
Le plutonium : sa fabrication et son rôle dans les armes thermonucléaires
Le plutonium-239 (Pu-239) est un élément clé dans la fabrication des armes nucléaires. Il est principalement utilisé dans les armes thermonucléaires, ou bombes à hydrogène, qui combinent deux types de réactions nucléaires : la fission et la fusion. Dans une telle arme, une première réaction de fission, souvent déclenchée par le plutonium, génère une chaleur et une pression extrêmes. Cela permet d’initier une réaction de fusion nucléaire beaucoup plus puissante. Contrairement à l’uranium, cependant, le plutonium ne se trouve pas naturellement en quantités suffisantes. En revanche, il peut être créé dans des réacteurs nucléaires à partir d’uranium-238.
Comme dit précédemment, lorsqu’un réacteur nucléaire fonctionne, il utilise de l’uranium-235 (U-235) comme combustible principal. Cependant, l’uranium-238, qui compose environ 99 % de l’uranium naturel, peut également réagir lorsqu’il absorbe un neutron. Lorsque l’uranium-238 capte un neutron, il se transforme en uranium-239 (U-239). Ce dernier subit ensuite deux désintégrations bêta successives et se transforme d’abord en neptunium-239, puis en plutonium-239 (Pu-239).
Le plutonium-239 qui en résulte est un isotope fissile, capable de libérer une grande quantité d’énergie lorsqu’il subit une réaction de fission. Cependant, ce plutonium-239 ne se trouve pas sous une forme pure dans le réacteur. Il est mélangé avec d’autres éléments et doit être extrait du combustible irradié à l’aide de processus chimiques complexes, souvent appelés retraitement du combustible. Ces procédés permettent d’isoler le plutonium des autres produits de fission et de le purifier pour des applications comme la fabrication d’armes nucléaires. Le plutonium-239 est très radioactif et dangereux à manipuler, ce qui rend son extraction et sa gestion dans des réacteurs nucléaires délicates et hautement surveillées.

Les infrastructures et tests
Une arme nucléaire est conçue pour amener une masse critique de matière fissile à se réunir dans un espace extrêmement réduit, libérant ainsi une énergie dévastatrice. Cela nécessite des infrastructures industrielles de pointe, telles que des centrifugeuses, des réacteurs nucléaires et des laboratoires de haute sécurité. Les coûts associés à ces technologies sont faramineux, sans compter la surveillance nécessaire pour éviter des accidents tels que des fuites radioactives ou des réactions incontrôlées.
Quant aux essais, il n’est désormais plus question de générer des explosions réelles pour tester l’efficacité et la puissance des armes. Ces derniers présentaient en effet des risques environnementaux et géopolitiques. Aujourd’hui, la plupart des tests sont effectués par simulations informatiques qui permettent de prédire le comportement des armes sans les faire exploser. Ces simulations reposent cependant sur des supercalculateurs très coûteux et des modèles scientifiques sophistiqués.
Pourquoi si peu de pays possèdent-ils des armes nucléaires ?
Les défis scientifiques, industriels et financiers expliquent donc pourquoi si peu de pays possèdent des armes nucléaires. Les technologies existent, mais leur maîtrise exige des investissements massifs et une expertise rare. De plus, des traités internationaux, tels que le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), exercent une pression pour limiter l’accès à ces technologies.
Cinq pays ont signé le TNP en 1968, s’engageant à ne pas développer d’armes nucléaires supplémentaires et à œuvrer pour le désarmement nucléaire. Il s’agit des États-Unis, de la Russie, du Royaume-Uni, de la France et de la Chine. Quatre autres pays sont également connus pour en avoir développé en dehors du cadre du TNP : l’Inde, le Pakistan, Israël et la Corée du Nord. Bien qu’Israël n’ait jamais officiellement confirmé la possession d’armes nucléaires, il est en effet largement reconnu que le pays en possède. Nous savons aussi que la Corée du Nord a mené plusieurs tests nucléaires, bien que son arsenal soit moins développé que celui des autres puissances nucléaires.