Inspiré de la figure biblique de Lazare, ressuscité par Jésus quatre jours après sa mort, le phénomène de Lazare désigne les cas rares et fascinants au cours desquels une personne déclarée cliniquement morte reprend spontanément vie, parfois plusieurs minutes après l’arrêt apparent de son cœur. Observé sporadiquement au fil des siècles, ce phénomène reste largement incompris par la médecine moderne et soulève de nombreuses questions. Par exemple, comment se manifeste ce retour à la vie et quelle influence ce phénomène a-t-il eue sur les pratiques funéraires ? Et surtout, à l’instar de l’histoire de cet Américain qui s’est réveillé au cours du prélèvement d’organes réalisé sur son corps présumé en état de mort cérébrale en 2021, rencontre-t-on souvent des cas de ce genre malgré les progrès de la médecine ?
Phénomène de Lazare : de quoi parle-t-on ?
Le phénomène de Lazare décrit le retour spontané des signes vitaux après un arrêt cardiaque. Si les tentatives de réanimation n’aboutissent pas à un rétablissement immédiat, il arrive toutefois quelques fois que le cœur reprenne soudainement son activité normale sans cause évidente. Pour l’instant, la médecine moderne ne comprend pas complètement le mécanisme biologique derrière ce phénomène extrêmement rare et donc toujours pour l’heure inexpliqué. Certains chercheurs émettent des hypothèses sur un effet de compression thoracique ou une relâche soudaine de la pression respiratoire qui pourrait relancer temporairement le cœur.
Ces incidents sont en tout cas extrêmement surprenants pour le personnel médical confronté à ce retour de conscience. Cela a donc donné lieu à des questionnements éthiques quant à la définition de la mort clinique.
Un retour à la vie… le plus souvent temporaire
Il est toutefois à noter que la plupart des personnes qui reviennent à la vie après un phénomène de Lazare ne survivent généralement pas longtemps. Ce retour spontané des signes vitaux, souvent temporaire, peut en effet se solder par un décès quelques heures ou jours plus tard à cause de l’arrêt prolongé de l’oxygénation de l’organisme. Plus un arrêt cardiaque est long, plus les chances de récupération sont faibles et les risques de lésions cérébrales ou cardiaques sont élevés.
Cependant, dans certains cas extrêmement rares, les individus retrouvent une certaine stabilité vitale et peuvent survivre plus longtemps avec une qualité de vie très variable s’ils reçoivent des soins intensifs. Les cas documentés de survie et de vie presque normale retrouvée dépendaient le plus souvent de facteurs circonstanciels comme une hypothermie extrême à l’origine d’un ralentissement du métabolisme, ce qui peut réduire les dommages liés à l’arrêt cardiaque et augmenter les chances de récupération. Toutefois, chaque cas reste unique en termes d’évolution post-réanimation.
L’incidence dans la société du phénomène de Lazare
Le phénomène de Lazare a eu un impact direct sur les pratiques funéraires au cours des siècles passés, notamment au XIXe siècle, une époque marquée par de nombreuses guerres, épidémies, blessures mortelles à défaut d’un bon traitement et donc victimes. Avant l’avènement des technologies médicales modernes, la peur de l’inhumation prématurée était en effet omniprésente, alimentée par des récits d’individus retrouvés vivants dans leur cercueil après avoir été déclarés morts.
Cette angoisse, plus forte que la peur même de mourir, a poussé à la création de systèmes pour prévenir les enterrements vivants comme l’installation de cloches attachées aux membres des défunts, une pratique répandue en Europe. En cas de regain de conscience, une personne enterrée pouvait ainsi tirer sur une corde reliée à la cloche pour alerter les personnes proches du cimetière et éviter ainsi la mort par asphyxie dans son cercueil.

Des cercueils toujours plus sophistiqués
En parlant de cercueils, ces derniers se perfectionnent. Si au XVIIIe et au XIXe siècle, certains mourants demandaient à ce que l’on retire leur cœur après leur mort présumée pour lutter contre la taphophobie (la crainte d’être enterré vivant, souvent évoquée à travers l’histoire, tant chez les philosophes grecs que chez des figures célèbres comme Frédéric Chopin ou l’ancien président américain George Washington), les inventeurs de l’époque ont quant à eux déployé toute leur ingéniosité pour apaiser leurs contemporains.
Les dépôts de demande de brevet se multiplient et certains dispositifs s’équipent d’un système d’aération pour permettre à une personne inhumée prématurément de respirer en attendant d’être secourue ou d’appeler à l’aide tandis qu’en 1822, Adolf Gutsmuth, un médecin allemand, en imagine un muni d’un tube pour nourrir le mort. En 1868, des cercueils sécurisés promettaient cette fois notamment de s’ouvrir à l’aide d’un levier et de déployer une échelle pour s’échapper. Enfin, comment ne pas penser à la tombe devenue célèbre du Dr Timothy Clark Smith, effrayé à l’idée de finir six pieds sous terre alors qu’il est encore vivant et qui la fait équiper d’une vitre pour que l’on puisse bien surveiller sa bonne mort et décomposition.

Ces inventions, bien que motivées par des cas anecdotiques, ont contribué à instaurer des protocoles de surveillance supplémentaires et révèlent l’influence profonde du phénomène de Lazare sur les perceptions de la mort et la peur profonde de nombreux humains de finir enterrés vivants. Ces cas ont aussi permis une réelle prise de conscience des limites de la connaissance médicale sur la mort à travers l’histoire. Toutefois, des cas similaires peuvent-ils encore se produire aujourd’hui, à l’heure des progrès de la médecine et des outils pour suivre les signes vitaux des malades ?
Des risques avérés aujourd’hui ?
Avec les progrès médicaux, les risques d’une déclaration de décès erronée sont évidemment bien moins fréquents. Des avancées technologiques et des progrès dans les outils de surveillance (comme l’électroencéphalogramme et le monitoring cardiaque) permettent en effet aujourd’hui de confirmer avec certitude un décès. Cependant, certains cas de phénomène de Lazare continuent d’être rapportés, même dans un contexte hospitalier, et peuvent survenir dans des circonstances particulières.
Des médicaments et signes qui passent inaperçus
Certains médicaments administrés lors des tentatives de réanimation pourraient par exemple jouer un rôle dans le phénomène de Lazare. Par exemple, l’adrénaline utilisée pour stimuler le cœur pendant la réanimation peut parfois rester dans le système assez longtemps pour induire une réponse cardiovasculaire retardée. Quant à l’atropine, il s’agit d’un médicament qui bloque certains récepteurs et augmente le rythme cardiaque. Parfois utilisé en cas d’arrêt cardiaque, il pourrait, dans de rares cas, contribuer à une reprise spontanée de l’activité cardiaque. Ces médications pourraient ainsi provoquer un retour de l’activité cardiaque qui semble spontané, mais qui est en réalité un effet retardé des interventions.

Des diagnostics de décès erronés peuvent aussi survenir face à des signes vitaux résiduels très faibles et intermittents, au point de ne pas toujours être perceptibles au premier examen, et donc auxquels il convient de prêter attention (pouls très faible, activité respiratoire minimale et sporadique ou encore microréflexes neuromusculaires [tics et contractions]).
Les médecins doivent donc prendre en compte la possibilité d’une reprise des signes vitaux, aussi infime soit-elle. Si la médecine moderne permet aujourd’hui d’assurer une précision accrue dans la déclaration de la mort, les mystères entourant le phénomène de Lazare incitent en tout cas toujours à la prudence lors des protocoles pour déclarer un décès clinique.