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Monsanto et Bayer : pour le meilleur et pour le glyphosate

Monsanto et Bayer : pour le meilleur et pour le glyphosate

  • vendredi 4 septembre 2020
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(Agence Ecofin) - Ce devaient être les noces du siècle pour Bayer dans une industrie agrochimique engagée dans une course à la concentration depuis plusieurs années. Mais rien ne s’est passé comme prévu. En bouclant une fusion avec Monsanto en juin 2018, pour 66 milliards $, qui lui a permis de devenir le numéro un mondial des pesticides et semences, le groupe allemand a hérité aussi des casseroles associées au controversé herbicide au glyphosate Roundup. Ce produit censé être l’un de ses principaux atouts, lui a surtout attiré une cascade de procédures judiciaires, en raison de ses effets jugés cancérigènes. Résultat, la compagnie devra débloquer jusqu’à 10,9 milliards $ pour clore près de 100 000 plaintes aux USA. Retour en 16 dates sur un mariage considéré comme l’un des pires de l’histoire…


23 mai 2016


Sous l’impulsion de son PDG, Bayer veut conquérir Monsanto


Moins d’un mois après son arrivée à la tête de Bayer, Werner Baumann, PDG du groupe, se lance à la conquête de Monsanto. Dans les détails, le patron du géant de Leverkussen propose au propriétaire du Roundup, 122 $ par action, soit un montant total de 62 milliards $. Pour Bayer, le jeu en vaut la chandelle. Cette acquisition pourrait lui permettre de devenir le leader des semences, herbicides et pesticides.


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Werner Baumann rêve de s’offrir Monsanto.


De plus, Monsanto semble être la cible idéale. L’entreprise a raté son rapprochement avec le suisse Syngenta, en 2015, pour devenir le leader incontesté de l’agrochimie. Depuis cette aventure infructueuse, les actions de la compagnie ont chuté et une vague d’acquisitions a été déclenchée. Syngenta fusionne finalement avec ChemChina pour 130 milliards $ tandis que Dupont et Dow Chemical s’allient pour 43 milliards $.


24 mai 2016


Monsanto décline l’offre de Bayer


Le Conseil d’administration de Monsanto rejette unanimement l’offre de rachat de Bayer. Pour la direction, la proposition « sous-estime significativement la valeur de la compagnie ». Ce rejet est le premier camouflet pour Bayer. « Il s’agit d’une opportunité intéressante pour les actionnaires de Monsanto. Nous espérons pleinement une réponse positive du comité de direction », avait pourtant prétendu Werner Baumann, son PDG.


14 juillet 2016 


Bayer revient à la charge et surenchérit


Quelques mois après le rejet de sa première proposition, Bayer revoit son offre à la hausse. La compagnie est désormais disposée à verser 125 $ par action, soit 3 $ de plus qu’annoncé initialement. Ce prix porte le montant de l’acquisition à 64 milliards $. Avec cette offre, Bayer croit avoir fait l’essentiel pour régler cette transaction…


19 juillet 2016


La direction de Monsanto dit niet à la seconde offre


« Financièrement inadéquate et insuffisante pour garantir avec certitude un accord ». C’est l’avis du conseil d’administration de Monsanto sur la nouvelle offre de rachat de Bayer.


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Monsanto fait monter les enchères encore et encore.


Cette proposition à 64 milliards $ n’a pas attiré les dirigeants du semencier américain, qui pensent toujours pouvoir parvenir à un meilleur accord. De son côté, Bayer affiche sa déception, mais dit toujours vouloir poursuivre les discussions avec Monsanto.


6 septembre 2016


Bayer propose 65 milliards $ à Monsanto qui campe sur son refus


Bayer annonce qu’il envisage de débourser 127,50 $ par action, soit un montant de 65 milliards $. Mais l’offre ne fait pas d’étincelles du côté de Monsanto qui mise sur une offre située dans la fourchette de 130 à 150 $ l'action. La compagnie semble toujours être trop belle pour Bayer…


13 septembre 2016


Bayer sort le grand jeu et offre 66 milliards $


L’inventeur de l’aspirine met désormais sur la table 128 $ par action, soit un total de 66 milliards $ pour reprendre Monsanto. Ce montant représente une prime de 44% par rapport à la valeur de l'action de la firme américaine, avant la première proposition adressée à Monsanto en mai 2016. Cette 4e offre est la plus importante jamais tentée par une compagnie allemande.


14 septembre 2016


Monsanto cède finalement à Bayer


Bayer se rassure en signant un accord de fusion avec Monsanto. Cette entente marque la fin d’un feuilleton entamé depuis mai 2016 et coûte au groupe allemand 66 milliards $, dont 2 milliards $ d'indemnité contractuelle, en cas de rupture des négociations avant la réalisation de l'opération. Ce rapprochement permettra de créer une entité avec 48 milliards $ de revenus combinés annuels dont 19,7 milliards $ pour la seule activité agrochimique, et 115 000 salariés.


21 mars 2018


La Commission européenne valide sous conditions la fusion Bayer-Monsanto 


La Commission européenne a accordé son feu vert conditionnel au rapprochement Bayer-Monsanto. Cet aval s’accompagne d’une exigence de cession de 5,9 milliards d’euros d’actifs (6,8 milliards $) qui sont repris pour l’essentiel par son compatriote BASF. Le groupe abandonne ainsi ses activités de recherche, production et commercialisation liées aux semences de colza, soja et coton, la plateforme de recherche pour les semences hybrides de blé, et certains herbicides à base de glyphosate utilisés en Europe, principalement à des fins industrielles.


29 mai 2018


Aval du Département américain de la justice sous réserve


Bayer a obtenu l’autorisation en échange de concessions supplémentaires du Département américain de la Justice (DOJ) pour racheter Monsanto. Ce blanc-seing s’accompagne d’une cession pour 9 milliards $ d’actifs. Elle recoupe les concessions déjà exigées par l’UE et voit la vente d’activités additionnelles de semences et de traitements à BASF ainsi que de la licence sur ses données dans l'agriculture numérique.


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Bayer agrandit son catalogue.


S’il s’agit de la plus importante cession jamais exigée par les autorités américaines, Bayer peut cependant se consoler avec la perspective d’acquérir les activités florissantes de Monsanto. La compagnie a en effet réalisé un chiffre d’affaires d’environ 15 milliards $, dont 3,7 milliards $ dans les herbicides, pour un bénéfice net de plus de 2 milliards $ en 2017.


7 juin 2018


Bayer convole en justes noces avec Monsanto


Après plus de deux ans de tractations, Bayer met enfin la main sur Monsanto en devenant son seul actionnaire. La compagnie compte enterrer au plus tôt la marque Monsanto née en 1901. « La nouvelle entreprise conservera le nom Bayer. Le nom d’entreprise Monsanto ne sera plus utilisé. Les produits issus de l’acquisition conserveront leurs noms de marque et feront partie du portefeuille de Bayer », souligne un communiqué. L’affaire semble bien partie pour Bayer, mais…


10 août 2018


Première condamnation de Bayer sur le Roundup


Juste deux mois après avoir conclu le rachat de Monsanto, Bayer subit son premier revers. La compagnie est condamnée par un jury californien à verser 289 millions $ de dommages punitifs et d'intérêts compensatoires à un agent d’entretien atteint d’un lymphome non hodgkinien, un cancer incurable du système lymphatique qu’il attribue au désherbant Roundup.


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Mais avec le Roundup, les ennuis commencent…


En réaction au verdict du tribunal, la capitalisation boursière perd 10 milliards $ en quelques heures. « La décision d'aujourd'hui ne change rien au fait que plus de 800 études scientifiques et revues [...] soutiennent le fait que le glyphosate ne provoque pas de cancer et n'a pas provoqué le cancer de Monsieur Johnson », a réagi la direction de Bayer. Après le rejet de son appel, la compagnie bénéficie tout de même d’une réduction des dommages-intérêts à 78,5 millions $, le 23 octobre.


27 mars 2019 


2e coup dur pour Bayer dans le dossier Roundup


Et de deux. Une cour fédérale condamne de nouveau Bayer à verser 80,3 millions $ de dommages et intérêts accordés par la justice américaine à un plaignant qui associe son cancer à l’utilisation du Roundup. Le chimiste allemand fait appel de la décision. Pendant ce temps, le nombre de procédures continue de grimper aux USA, atteignant les 11 000 cas. Le verdict est adouci plus tard, le 15 juillet, avec la revue à la baisse de l’enveloppe devant être versée à 25 millions $.


26 avril 2019 


Les actionnaires infligent un revers symbolique à Werner Baumann


Lors de l'assemblée générale à Bonn, une majorité d'actionnaires de Bayer (55,5%) désapprouve la gestion de l'équipe dirigeante en 2018. En cause, notamment, la chute d’environ 30 milliards d’euros de la capitalisation boursière du groupe depuis sa condamnation en août 2018. Certains actionnaires reprochent à la direction d'avoir sous-estimé les risques juridiques liés à cette acquisition. Face à ces critiques, le PDG Werner Baumann se défend. « La désaffection actuelle des investisseurs pour le titre est exagérée et ne reflète pas la valeur réelle du groupe. Il y a beaucoup de politisation, de campagne et de propagande qui vont totalement à l'encontre du statut réglementaire actuel de nos produits », estime-t-il. Le nombre des plaignants contre Monsanto s'établit désormais à 13 400 contre 11 200 en janvier.


13 mai 2019


Bayer enchaîne une 3e déconvenue de rang


Une cour californienne condamne Bayer à verser un montant historique de plus de 2 milliards $ de dommages et intérêts à un couple affirmant que le Roundup est à l'origine de leur cancer. Qualifiant cette condamnation d’injustifiable, la compagnie a annoncé sa décision de faire appel. Le 25 juillet, le montant est réduit à 86,7 millions $.


13 mars 2020 


La valeur de l’action de Bayer chute à son plus bas niveau depuis 8 ans


Bayer continue sa descente aux enfers. La valeur de son action a atteint 47,50 euros, soit son plus bas niveau depuis 8 ans. Alors que les défis s’accumulent sur le dossier Roundup, les analystes estiment que la compagnie pourrait verser jusqu’à 20 milliards $ pour classer l’affaire. En août 2019, la compagnie s’était dite prête à débloquer un montant maximal de 8 milliards $ pour classer les plaintes à son encontre aux USA, estimées à 18 400 cas.


24 juin 2020


Bayer paie jusqu’à 10,9 milliards $ pour clore le dossier Roundup


L’horizon s’éclaircit pour Bayer. L’entreprise est parvenue à un accord mettant un terme à 75 % des litiges sur le Roundup aux USA contre le versement d’une enveloppe entre 10,1 et 10,9 milliards $. L’entente met également en place un mécanisme pour gérer et résoudre efficacement les potentielles futures réclamations. Pour autant, pas question pour Bayer d’admettre que le glyphosate est cancérigène. « Nous continuons à soutenir pleinement l’innocuité et l'utilité de nos produits à base de glyphosate, confirmées par les principaux experts de la réglementation sanitaire, à travers le monde », a fait savoir la compagnie.


Aujourd’hui 


Les multiples procès ont durablement terni l’image et la réputation de Bayer. Dans la foulée des condamnations, près du quart de sa valeur boursière s’est envolé.


La compagnie a annoncé une perte nette de 9,54 milliards d’euros sur son deuxième trimestre 2020, en raison de l’accord de règlement du litige Roundup. Mais elle devrait toutefois réaliser un chiffre d’affaires annuel de 43 à 44 milliards d’euros, d’ici la fin de son exercice.


Par ailleurs, la compagnie qui s’est imposé une cure d’amaigrissement pour absorber Monsanto a renforcé indirectement BASF qui dispose désormais d’une gamme plus étendue de produits concurrents, ainsi que ChemChina et Corteva (DowDupont). Si le repositionnement sur l’agrochimie et les médicaments reste salutaire, la compagnie fondée en 1863 est également plus endettée (35,9 milliards $) et plus exposée aux attaques des défenseurs de l’environnement. Mais peu importe. La compagnie reste toujours convaincue de la pertinence de son union avec Monsanto. Elle mise d’ailleurs sur « la capacité phénoménale d’innovation de Monsanto dans les semences pour nourrir une population mondiale croissante sur des terres arables limitées et perturbées par le réchauffement climatique ». Quant au glyphosate, elle ne compte pas non plus céder du terrain en mettant en avant des preuves scientifiques… tout comme ses détracteurs.



Le flou scientifique autour du glyphosate


Sur ces dernières décennies, le glyphosate, composant actif principal du Roundup, a été au centre d’une véritable saga scientifique avec une multitude d'études contradictoires. Le produit commercialisé depuis le milieu des années 70 est autorisé dans une centaine de pays et représente le ¼ du marché mondial des herbicides.


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A l’heure actuelle, il n’y a toujours pas de consensus quant à son caractère cancérigène. En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) avait classé le glyphosate comme « probablement cancérigène pour les humains ». Pour sa part, l’Agence américaine de protection de l'environnement (EPA) a conclu en 2019 que le glyphosate n'était pas cancérigène, confirmant un précédent rapport, publié en septembre 2017. Le régulateur américain est rejoint dans cette vision par l'Agence européenne des produits chimiques et d'autres organismes de régulation à travers le monde.


Ce flou scientifique entretenu par les débats contradictoires des experts s’ajoute à l’embarras des autorités publiques. D’une part, le Roundup reste encore très prisé par les agriculteurs, majoritairement commerciaux, qui mettent en avant son efficacité et son faible coût ainsi que l’absence d’alternatives dans le contexte d’une agriculture mondialisée. De l’autre, la pression des organisations, qui accusent le glyphosate d’être un perturbateur endocrinien et d’être néfaste pour l’environnement, continue de monter. A cela s’ajoutent des décisions juridiques à l’échelle nationale qui contredisent parfois les conclusions des autorités sanitaires elles-mêmes. Autant dire que le Roundup n’a pas fini de semer la zizanie…



Espoir Olodo


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