La matière noire reste l’un des plus grands mystères de l’astrophysique moderne. Invisible et insaisissable, elle n’émet ni n’absorbe la lumière, ce qui la rend indétectable par les moyens conventionnels. Pourtant, sa présence est suggérée par les effets gravitationnels qu’elle exerce sur les galaxies et la structure de l’Univers. Récemment, une équipe internationale de chercheurs a franchi une étape majeure dans cette quête grâce à des observations effectuées au Chili. Même si aucun signal direct de matière noire n’a été détecté, leurs résultats permettent de mieux comprendre les propriétés de ces particules hypothétiques et d’affiner les futures stratégies d’observation.
Une traque difficile, mais essentielle
Depuis des décennies, les physiciens tentent de percer le mystère de la matière noire qui représenterait environ 27 % de la masse totale de l’Univers. Contrairement à la matière ordinaire, elle n’interagit pas avec le rayonnement électromagnétique, ce qui la rend totalement invisible. Pour l’observer, les scientifiques doivent donc se fier à des indices indirects, comme les anomalies dans les mouvements des galaxies ou la courbure gravitationnelle de la lumière.
Dans cette quête, les chercheurs misent sur la désintégration hypothétique de certaines particules de matière noire en photons (des particules de lumière). Ces désintégrations produiraient des lignes spectrales très fines, des sortes de signatures lumineuses spécifiques détectables grâce à des instruments extrêmement sensibles.
Des instruments de pointe au service de la recherche
C’est dans le désert d’Atacama, au Chili, que cette avancée s’est concrétisée. L’équipe, composée de chercheurs de l’Université métropolitaine de Tokyo, de Kyoto Sangyo et d’autres institutions collaboratrices, a utilisé le spectrographe WINERED. Monté sur l’un des télescopes Magellan, dotés de miroirs de 6,5 mètres de diamètre, cet instrument est capable d’observer la lumière infrarouge avec une précision inégalée.
Pourquoi observer dans l’infrarouge ? Parce que certaines particules de matière noire pourraient se désintégrer en émettant des photons dans cette gamme de longueurs d’onde. En se concentrant sur des galaxies naines sphéroïdales, riches en matière noire, les scientifiques espéraient détecter ces fameuses lignes spectrales.
Une méthode rigoureuse et innovante
Pour maximiser leurs chances de succès, les chercheurs ont mis en œuvre plusieurs techniques avancées. La première, appelée hochement de tête, consiste à soustraire la lumière de fond du ciel, souvent trop brillante, afin d’obtenir des mesures plus nettes. Ensuite, ils ont corrigé les effets Doppler, provoqués par les mouvements relatifs des galaxies, afin d’aligner les signaux potentiels sur une même référence.
En combinant les données de plusieurs cibles, ils ont réussi à réduire les interférences et à isoler d’éventuelles signatures fines de matière noire. Leurs observations se sont concentrées sur des particules dont la masse est comprise entre 1,8 et 2,7 eV (électronvolts), une gamme encore peu explorée jusqu’à présent.

Des résultats prometteurs malgré l’absence de détection
Bien qu’aucun signal définitif de matière noire n’ait été repéré, cette étude marque une avancée importante. Les chercheurs ont pu établir les contraintes les plus strictes à ce jour sur la durée de vie des particules hypothétiques dans cette gamme de masse. Ces nouvelles limites permettent d’exclure certains modèles théoriques et d’orienter les futures recherches.
« Avec seulement quatre heures d’observation, nous avons démontré que la spectroscopie infrarouge à haute résolution est capable d’atteindre la sensibilité nécessaire pour explorer cette gamme de masses », explique Wen Yin, premier auteur de l’étude publiée dans la revue Physical Review Letters. « Cela ouvre la voie à de nouvelles observations, non seulement avec WINERED, mais aussi avec d’autres télescopes comme Subaru. »
Par ailleurs, les chercheurs ont relevé quelques excès de signaux dans leurs données. Bien qu’ils ne puissent pas encore être attribués à la matière noire, ces anomalies justifient des analyses plus approfondies. Forte de ces résultats, l’équipe envisage déjà la suite. Une nouvelle génération de spectrographes, spécialement conçus pour la recherche de matière noire, pourrait voir le jour. Ces instruments, installés sur des télescopes de plus petite ouverture, permettraient d’allonger considérablement le temps d’observation et d’explorer un plus large éventail de cibles.