De récentes observations laissent entendre que les trous noirs supermassifs au centre des galaxies sont une source probable d’énergie noire, cette mystérieuse entité qui constitue près de 70% de l’Univers. Deux articles détaillant ces résultats, qui impliquent dix-sept chercheurs de neuf pays, ont été publiés dans les revues The Astrophysical Journal et The Astrophysical Journal Letters.
Énergie noire et trous noirs supermassifs
À la fin des années 1920 fut mis au jour une découverte qui révolutionna l’astronomie : toutes les galaxies s’éloignent les unes des autres, ce qui signifie que l’Univers est en expansion. Plus tard, dans les années 90, des chercheurs ont ensuite mis en évidence que la vitesse de fuite des galaxies par rapport à la Voie lactée augmentait avec le temps. On observait alors une expansion de l’Univers, mais aussi une accélération de cette expansion.
Pour expliquer ces observations, on imagina une force répulsive opposée à la gravité sans laquelle l’Univers se contracterait. Cette entité, les astronomes l’ont baptisée « énergie noire ». D’après les estimations, elle constituerait environ 68 % de la densité d’énergie totale de l’Univers.
Malheureusement, tout comme la matière noire, nous ne pouvons déduire sa présence que par ses effets indirects sur la matière. Nous n’avons donc, à ce jour, aucune véritable preuve de son existence ou de son origine, d’où l’importance de cette nouvelle étude.
Les trous noirs sont les cadavres d’étoiles massives. Les plus gros – les supermassifs – se trouvent au centre de la plupart des galaxies. Ces ogres cosmiques contiennent des millions, voire des milliards de masses solaires contenues dans un espace relativement petit. De fait, ils ont une force gravitationnelle extrêmement forte.
Ces trous noirs ne sont pas statiques. Ils peuvent en effet augmenter de taille en avalant, par exemple, des étoiles passées un peu trop près. Ils peuvent également grandir en fusionnant avec d’autres trous noirs. Du moins, c’est ce que nous pensions.
Un troisième facteur ?
Revenons maintenant à notre énergie noire. La seule chose que nous savons sur cette mystérieuse entité est qu’elle ne semble s’appliquer, au moins fortement, qu’à de très grandes échelles, de sorte que d’autres forces dominent plus près, comme la gravité. Les trous noirs supermassifs constituent donc un cas de test intéressant : ils aspirent de la matière à des distances si énormes que nous pourrions « voir » où s’opère la transition entre la domination de la gravité et celle de l’énergie noire; chose qu’il serait impossible de faire avec des objets moins importants.

La croissance des trous noirs est cependant trop lente et erratique pour être suivie en temps réel. Néanmoins, en comparant la masse d’un échantillon de trous noirs distants tels qu’ils étaient il y a des milliards d’années avec ceux qui nous entourent dans les galaxies proches, nous pouvons avoir une idée de ces taux de croissance moyen.
Dans le cadre de ces nouveaux travaux, les chercheurs ont examiné des données couvrant neuf milliards d’années. Ils se sont concentrés sur un type particulier de galaxies appelées galaxies elliptiques géantes. Ces objets ont la particularité d’avoir évolué assez tôt dans l’Univers, avant de finalement devenir inactives. Autrement dit, ces galaxies dormantes ne forment plus d’étoiles, laissant peu de matière permettant la croissance du trou noir supermassif en leur centre.
Or, en comparant un groupe jeune et distant de ces galaxies avec un groupe plus proche et plus âgé, les chercheurs ont déterminé que les trous noirs proches ont en moyenne sept à vingt fois la masse de ceux observés il y a neuf milliards d’années par rapport à la taille de leurs galaxies hôtes. Un tel taux de croissance ne peut s’expliquer que par des fusions régulières ou par l’absorption de matière stellaire. Autrement dit, cela signifie que cette croissance supplémentaire ne peut être expliquée que par d’autres processus.

Couplage cosmologique
Les chercheurs ont ici tenté d’expliquer cette étonnante croissance en proposant qu’elle soit liée à l’expansion accélérée de l’Univers. Le modèle qu’ils ont utilisé impliquait une interprétation de la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein soulignant que les trous noirs contiennent de l’énergie du vide, une sorte d’énergie qui existe partout dans l’espace en raison des particules quantiques qui apparaissent et disparaissent.
Résultat, des mesures avec des populations de galaxies apparentées à différents points de l’évolution de l’Univers ont montré un bon accord entre la taille de l’Univers et la masse des trous noirs. Ces derniers seraient ainsi couplés à l’expansion de l’Univers, leur masse augmentant à mesure que celui-ci se dilate.
Ainsi, concrètement, cette étude montre que la quantité mesurée d’énergie noire dans l’Univers peut être expliquée par l’énergie du vide du trou noir. Dit autrement : si les trous noirs contiennent effectivement de l’énergie du vide liée à l’expansion de l’Univers, alors ils se développent plus rapidement. Et plus ces « noyaux » d’énergie noire se développent, plus l’expansion de l’Univers s’accélère.
« Lorsque nous avons fait les sommes, nous avons découvert que ces trous noirs pourraient en fait être capables d’expliquer l’intégralité de ce qui est nécessaire pour équilibrer l’Univers avec cette énergie noire« , note l’un des auteurs, Chris Pearson.
Si la théorie tient, alors cela va révolutionner l’ensemble de la cosmologie, car nous aurions enfin une solution pour l’origine de l’énergie noire qui hante les cosmologistes et physiciens théoriciens depuis plus de vingt ans.
Il s’agit par ailleurs du premier article d’observation qui n’ajoute rien de nouveau à la théorie de la gravité d’Einstein pour expliquer cette énergie noire. D’autres propositions avaient été faites, mais toutes impliquaient de repenser les modèles.
Si ces résultats sont très intéressants, ils susciteront naturellement beaucoup de scepticisme parmi la communauté scientifique. Des travaux supplémentaires seront donc nécessaires pour confirmer ou non cette idée. L’une des questions qui subsiste est la suivante : comment les trous noirs pourraient attirer tout ce qui se trouve à proximité tout en séparant simultanément l’Univers ?