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Les plantes invasives, ces bombes à retardement imprévisibles

Les plantes invasives, ces bombes à retardement imprévisibles

  • lundi 18 novembre 2024
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Comme à Wangaratta, les plantes invasives avaient déjà fait parler d’elles après qu’une invasion d’« herbes qui roulent » (ou tumbleweeds en anglais) se soit abattue sur la ville de South Jordan, États-Unis, après une grosse tempête. Des milliers de virevoltants avaient alors bloqué les routes et les maisons en formant des murs d’herbes impressionnants de plusieurs mètres de haut. Pourtant, comme le prouve une étude récente, les espèces envahissantes de ce type s’imposent généralement de manière plus insidieuse. Et si on ne les voit pas forcément venir, elles représentent une menace réelle et leurs effets peuvent être dévastateurs pour la planète.


La menace des plantes invasives : un problème très sérieux

Introduites par accident (à cause du transport involontaire de graines) ou volontairement à des fins décoratives, médicinales ou agricoles, les plantes invasives sont des espèces végétales qui se propagent rapidement dans des écosystèmes dont elles ne sont pas originaires. Elles entraînent alors souvent des conséquences néfastes pour l’environnement et la biodiversité.

En supplantant les espèces indigènes sur leur propre sol, elles perturbent notamment l’équilibre écologique des écosystèmes locaux. Elles peuvent notamment modifier la composition des sols, la disponibilité des nutriments et de l’eau, ainsi que les interactions entre les espèces animales et végétales, induisant notamment des changements en termes de pollinisation, régulation du climat, etc. En concurrençant les espèces indigènes pour les ressources disponibles, elles peuvent ainsi entraîner un déclin des populations d’espèces endémiques (voire causer leur extinction locale) et avoir des répercussions économiques dans le domaine de l’agriculture en perturbant le rendement des récoltes.

Elles peuvent aussi avoir des effets plus profonds en modifiant les cycles biogéochimiques, tels que le cycle de l’eau et le cycle des nutriments, ce qui peut avoir des effets en cascade sur d’autres organismes et processus écologiques. De plus, elles réduisent la diversité des microhabitats disponibles pour les espèces animales locales et limitent ainsi leur capacité à se nourrir, à se reproduire ou à se déplacer. Certaines sont par ailleurs hautement inflammables et peuvent donc augmenter la fréquence et l’intensité des feux de forêt, augmentant ainsi la perte d’espèces végétales et animales.


D’après une étude publiée le 8 février dernier par l’Université de Californie à Davis, ces plantes représentent une menace supplémentaire à cause d’un phénomène mal apprivoisé par la science : la dormance.

abutilon d'Avicenne Abutilon theophrasti plantes invasives
L’abutilon d’Avicenne (Abutilon theophrasti) est une plante invasive. Crédits : Seven75/iStock

La dormance, ce phénomène qui les rend imprévisibles

Parfois, les plantes peuvent rester à l’état de graines pendant quelque temps. Une fois qu’elles rencontrent les conditions nécessaires à leur épanouissement (notamment en cas de changement de climat), elles peuvent sortir de cet état de dormance, prospérer à l’insu des plantes indigènes et se multiplier très rapidement. Comme l’explique Mohsen Mesgaran, professeur de sciences végétales à l’université californienne, « plus la dormance est longue, plus nous sommes susceptibles de la négliger. Cette latence leur permet de passer inaperçues, ce qui contribue à leur émergence éventuelle en tant que menace envahissante sérieuse, telles des bombes à retardement invasives. »

Or, dans le cadre de l’étude, les chercheurs ont passé en revue plus de 5 700 espèces envahissantes dans neuf régions à travers le monde. Et grâce à ces travaux, les plus complets et exhaustifs sur ce sujet à ce jour, ils ont pu établir qu’un tiers de ces plantes affichaient un décalage entre leur arrivée sur un sol et le moment de leur prolifération. Si la moyenne est de quarante ans pour quitter l’état de dormance, d’autres plantes peuvent prendre plus de temps, ce qui les rend particulièrement imprévisibles.


À titre d’exemple, l’érable sycomore au Royaume-Uni a battu tous les records avec 320 ans nécessaires pour quitter son état de dormance. Le plantain lancéolé affiche quant à lui une dormance proche des 177 ans. Or, il est non seulement nocif pour les autres plantes avec lesquelles il entre en concurrence, mais aussi pour le bétail. L’abutilon d’Avicenne, une fleur jaune très gourmande en nutriments et en eau qui nuit aux autres variétés champêtres, comptez plutôt une cinquantaine d’années.

érable sycomore dormance
Les graines d’érable sycomore (Acer pseudoplatanus) peuvent rester en dormance 320 ans. Crédits : Efetova/iStock

Des risques multipliés avec le changement climatique

Comme l’explique le Pr Mesgaran : « le problème est que la plupart des modèles dont nous disposons pour évaluer les risques et déterminer si les espèces seront envahissantes et constitueront un problème de nuisance à l’avenir ne tiennent pas compte de cette phase de latence ou de dormance. Ce n’est pas qu’elles ne poseront pas de problème, c’est juste le calme avant la tempête. » En Californie, près de 65 % de ces espèces envahissantes ont été introduites volontairement. Toutefois, avec le risque jadis méconnu lié à la dormance des plantes et l’augmentation toujours croissante du commerce, des déplacements et du tourisme, cette bombe écologique latente risque de prendre une tournure exponentielle.

De plus, bien que parlantes, ces estimations sont loin d’être suffisantes. En effet, d’après les chercheurs, les conditions climatiques avaient changé dans neuf cas sur dix entre l’introduction de la plante invasive et sa prolifération. Cela laisse donc supposer qu’il leur a fallu attendre des conditions favorables ou un temps d’adaptation à un environnement inadapté pour pouvoir proliférer. L’équipe compte donc continuer ses recherches, cette fois en prenant en compte le climat d’origine de la plante envahissante.

L’impact socio-économique des invasions végétales

Au-delà des conséquences environnementales, les plantes invasives engendrent également des coûts sociaux et économiques considérables. En perturbant les écosystèmes agricoles, elles affectent les rendements des cultures et augmentent les dépenses liées à leur gestion, telles que l’utilisation accrue de pesticides ou le recours à des techniques spécifiques pour limiter leur prolifération. Aux États-Unis, par exemple, les plantes envahissantes coûtent chaque année des milliards de dollars en pertes agricoles et en mesures de contrôle. Dans les zones urbaines, leur présence peut obstruer les infrastructures, comme les canalisations ou les routes, et nécessiter des interventions coûteuses pour rétablir la sécurité et la fonctionnalité des lieux. De plus, certaines plantes, comme l’ambroisie, libèrent des pollens hautement allergènes, exacerbant les problèmes de santé publique, notamment chez les personnes souffrant d’allergies ou d’asthme. Ainsi, ces espèces invasives ne constituent pas uniquement un défi pour la biodiversité, mais également pour le bien-être des populations humaines.

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