Il y a environ 62 millions d’années, soit quatre millions d’années seulement après la fin de l’ère des dinosaures, de grands mammifères commençaient à parcourir la planète. Ces animaux de la taille d’un gros chien tranchaient avec leurs ancêtres. La plupart n’étaient en effet pas plus gros qu’une souris avant que l’astéroïde ne frappe. Comment expliquer un tel changement ? Une étude publiée dans Nature suggère une hypothèse.
Des géants pour leur époque
Pantolambda bathmodon est un ancien mammifère trapu d’une quarantaine de kilos. Ces animaux avaient une petite tête par rapport à leur corps volumineux, ce qui laisse entendre que la taille corporelle de ses ancêtres a augmenté avant la taille de leur cerveau. Ce modèle d’évolution (les muscles avant les neurones) peut être observé chez de nombreux mammifères placentaires qui ont émergé après l’extinction de la fin du Crétacé.
Pour en savoir plus sur l’histoire de ce mammifère, Gregory Funston et son équipe de l’Université d’Édimbourg ont analysé les ossements d’une douzaine de spécimens collectés au Nouveau-Mexique. Ces échantillons, qui représentaient des individus dont l’âge variait d’environ deux à onze ans, ont permis aux chercheurs d’estimer leur vitesse de croissance et leur durée de vie. Les chercheurs ont également analysé des signatures chimiques spécifiques dans les dents et les os des animaux. De cette manière, ils ont pu déterminer combien de temps chaque individu avait évolué dans l’utérus.
Dans le détail, à mesure que les dents se développent, l’émail externe et le tissu sous-jacent s’accumulent quotidiennement. Le cément, le tissu dur qui recouvre la racine de la dent, gagne également une nouvelle couche chaque année. Nichée parmi ces anneaux de croissance se trouve une « ligne de naissance » distinctive qui apparaît à la fois dans les dents d’adulte et de lait.
Cette lignée de naissance contient une forte concentration de zinc, un minéral très présent dans le colostrum, un lait riche en nutriments que produisent les mères mammifères pendant quelque temps après la naissance de leurs petits. Dès que la mère produit ensuite un lait maternel classique, cette ligne de naissance cède la place à des couches de tissu contenant beaucoup de baryum. En analysant de fines tranches de dents de P. bathmodon, les chercheurs ont ici pu repérer ces lignes distinctives de zinc et de baryum.
Au moins sept mois de grossesse
D’après les résultats, il semblerait que ces animaux aient porté leurs petits au moins sept mois dans l’utérus. Leurs bébés étaient ensuite allaités pendant un à deux mois. À ce moment-là, les jeunes auraient pesé environ neuf kilos. D’après le taux de croissance enregistré dans leur os, ces mammifères auraient également atteint la maturité sexuelle au cours de la première année de vie.
Cette longue période de gestation aurait donc permis à ces animaux de produire des petits plus gros et très développés à la naissance qui, à l’instar des nouveau-nés de certains grands mammifères modernes, étaient déjà prêts à marcher dès la sortie de l’utérus. Si cet animal a porté ses petits pendant une longue période de temps pour donner naissance à de gros bébés, d’autres mammifères placentaires en ont peut-être fait de même. Cette stratégie de reproduction aurait pu aider divers mammifères placentaires à exploser en taille après l’extinction des dinosaures non aviaires.
« Aujourd’hui, les placentaires semblent être uniques parmi les groupes de mammifères en ce qu’ils ont de longues périodes de gestation, ce qui donne des jeunes plus grands et plus développés. Cependant, on ne sait pas quand ces mammifères ont évolué pour avoir une gestation plus longue dans leur histoire évolutive« , explique Gemma Louise Benevento, du Senckenberg Biodiversity and Climate Research Center en Allemagne.
Ce que nous apprend cette recherche, c’est qu’au moins certains mammifères étaient capables de mener des grossesses de plusieurs mois il y a 62 millions d’années.