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« Les besoins considérables de la Chine en matières premières agricoles traduisent une grande fragilité » (François Luguenot)

« Les besoins considérables de la Chine en matières premières agricoles traduisent une grande fragilité » (François Luguenot)

  • vendredi 4 décembre 2020
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(Agence Ecofin) - De la viande de porc, aux produits laitiers en passant par le soja, la Chine occupe une place de plus en plus prépondérante dans les échanges agroalimentaires. Si cette domination soulève des inquiétudes diverses, les marchés agricoles se sont affolés ces dernières semaines face à la perspective d’émergence du pays en tant que principal importateur de maïs en 2020/2021. Dans un entretien accordé à l’Agence Ecofin, François Luguenot, analyste de marché, revient sur l’influence de la Chine sur les marchés agricoles mondiaux.


Agence Ecofin : La Chine est devenue le premier importateur mondial de produits agricoles en 2019, devant l’Union européenne et les USA. Certains parlent d’un basculement de la balance agroalimentaire mondiale en faveur du pays. Quel est votre avis sur le sujet ?


François Luguenot : Que la Chine soit, encore plus qu’il y a cinq ans, un acteur essentiel du commerce agricole mondial est indéniable ; c’est la poursuite de tendances qui sont en place depuis deux décennies. D’une certaine façon, la Chine occupe une place comparable à celle de l’URSS dans les années 1970 et 1980. Peut-on pour autant dire que ce phénomène favorise le pays ? Je serais plus circonspect, car à partir du moment où un acteur économique dépend autant de ses fournisseurs, il est aussi en situation délicate.


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François Luguenot : « Il est probable que les Chinois eux-mêmes ignorent le volume exact de leurs stocks et leur état.»


Certes, les pays qui exportent vers la Chine sont de plus en plus dépendants du comportement de cet acheteur. Mais cela signifie aussi que la Chine est fragile, qu’elle n’est plus capable d’assurer une quelconque indépendance alimentaire et dépend largement des disponibilités mondiales.


« Mais cela signifie aussi que la Chine est fragile, qu’elle n’est plus capable d’assurer une quelconque indépendance alimentaire et dépend largement des disponibilités mondiales.»


Et si elle peut se permettre de ne plus importer d’orge d’Australie cette année, c’est que la récolte est suffisante ailleurs. Sinon...


AE : Lorsque la Chine est grande consommatrice d’un produit agricole, son approvisionnement mondial explose. Cela a été le cas du soja dans les années 90, avec le développement de l’offre au Brésil et en Argentine. Est-ce qu’on peut dire que la Chine fait la pluie et le beau temps sur les marchés agricoles mondiaux ?


François Luguenot : Non. Le commerce est une relation entre vendeurs et acheteurs, chacun dépendant de l’autre. Certes, depuis le début de la campagne actuelle, les prix des céréales et du soja ont été poussés à la hausse à cause des énormes achats de la Chine. Mais, en ce qui concerne le blé, le prix n’a crû que dans le sillage des inquiétudes climatiques et de l’augmentation du prix du maïs.


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« La Chine importe presque un tiers de la récolte mondiale de soja.»


Les mouvements de prix auraient été beaucoup plus importants si la récolte autour de la mer Noire avait été mauvaise. Sur certains marchés, le poids de la Chine est effectivement déterminant dans la tendance des prix : le sorgho et le soja bien sûr, la viande de porc aussi, depuis l’explosion de l’épidémie de peste. Elle est moins présente sur le marché de l’orge et beaucoup moins sur celui du blé. Et elle est à peu près absente des marchés de produits tropicaux. Son influence dépend de la matière première dont on parle.


AE : La Chine n'exerce-t-elle pas un effet déstabilisateur sur l’équilibre entre l’offre et la demande de certains produits agricoles, quand on sait que le pays est le premier producteur et stockeur mondial de céréales ?


François Luguenot : Tout producteur et tout acheteur influe sur les marchés. Il est clair que dans le cas du soja par exemple, le fait que la Chine importe presque un tiers de la récolte mondiale est un facteur déterminant dans la fluctuation des prix. Mais cela signifie aussi que la Chine a besoin de ces quantités et serait en très grandes difficultés si elle ne parvenait pas à trouver les quantités nécessaires !


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« La Chine s’oriente depuis une dizaine d’années vers davantage d’intervention sur les marchés. »


Quant aux stocks, c’est la bouteille à l’encre depuis des dizaines d’années. Il est probable que les Chinois eux-mêmes ignorent le volume exact de leurs stocks et leur état. De toute façon, quel marché est stable ? Par essence, un marché évolue au gré des déséquilibres entre l’offre et la demande.


AE : Le rôle moteur de la Chine dans le commerce mondial agricole, représente-t-il des menaces pour la sécurité alimentaire mondiale ?


François Luguenot : Commençons par souligner que le peu de fiabilité des statistiques chinoises rend toute construction de tendances difficile. D’un côté, la consommation alimentaire croît et « s’occidentalise » avec l’enrichissement de la population. D’un autre côté, la population vieillit, le taux de natalité est désastreux et le sex-ratio est très déséquilibré. Que va-t-il en résulter ? A court terme, il est difficile d’imaginer une décroissance des besoins chinois, surtout à un moment où le pays reconstitue son cheptel porcin – jusqu’à la prochaine épidémie.


« D’un autre côté, la population vieillit, le taux de natalité est désastreux et le sex-ratio est très déséquilibré. Que va-t-il en résulter ? »


A long terme, la population va décroître et vieillir. Il me semble que d’autres zones posent des problèmes à venir, bien plus ardus à résoudre, par exemple en Afrique.


AE : L’appétit de la Chine a également des conséquences importantes sur l’environnement, avec notamment la déforestation de l’Amazonie au Brésil pour l’extension des superficies emblavées en soja. Quels sont les risques à terme de cette situation sur la production agricole mondiale ?


François Luguenot : Le Brésil n’a pas attendu la Chine pour dévaster sa forêt ! Au demeurant, la responsabilité du soja est controversée dans la mesure où d’aucuns accusent plutôt la production de viande locale. Et la Chine n’est pas un importateur majeur d’huile de palme, dont la production a un impact très néfaste sur l’environnement. La situation en Inde paraît beaucoup plus dégradée, alors même qu’elle exporte très peu.


AE : Selon les estimations du Département américain de l’agriculture (USDA), la Chine est en passe de devenir un importateur majeur de maïs avec un volume record de 22 millions de tonnes en 2020/2021. Cela peut-il avoir des bouleversements de la même envergure que celui qu’on a pu observer avec le soja ?


François Luguenot : Pour la campagne en cours, il est clair que l’impact de la Chine est spectaculaire, d’autant que l’on n’avait pas vu venir le phénomène. La question est de savoir si cela va se poursuivre. S’il s’agit d’un besoin ponctuel pour reconstituer le cheptel porcin, et accessoirement pour remplir quelques silos, les conséquences ne dépasseront guère la campagne actuelle. Mais il est trop tôt pour se prononcer. Le comportement des acheteurs chinois a toujours été difficilement prévisible.


AE : Que peut-on dire de l’influence de la Chine sur les marchés des matières premières agricoles dans les prochaines années ?


François Luguenot : Il faut rester très modeste dans ce genre de projection. Nous l’avons vu, les besoins alimentaires chinois sont difficiles à prévoir : le pays a probablement atteint son pic de population, il va connaître des mutations internes profondes. Il me semble que la question principale du gouvernement chinois est la sécurisation des approvisionnements. Un manque de nourriture présenterait un risque trop important pour le pouvoir !


« Il me semble que la question principale du gouvernement chinois est la sécurisation des approvisionnements. Un manque de nourriture présenterait un risque trop important pour le pouvoir ! »


Ce qui paraît clair, c’est que, même si la Chine détient probablement des stocks considérables, elle s’oriente depuis une dizaine d’années vers davantage d’intervention sur les marchés. Maîtriser les circuits commerciaux lui coûte sûrement moins cher que de stocker et elle a investi dans plusieurs sociétés de négoce mondial comme Noble. Retenons aussi que tout n’est pas rose dans l’empire du Milieu et que ses besoins considérables en matières premières agricoles traduisent tout de même une grande fragilité.


Propos recueillis par Espoir Olodo


Espoir Olodo


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