(Agence Ecofin) - Directeur Général de Sony Music Afrique, Elvis Adidiema était présent au Salon des Industries Musicales d’Afrique Francophone (SIMA). Il revient pour nous sur l’activité de son groupe en Afrique francophone et sur les principaux sujets abordés pendant l’évènement.
Agence Ecofin : Bonjour Elvis Adidiema. En quoi était-ce important pour Sony Music Afrique de participer au SIMA ?
Elvis Adidiema : C’était important d’être là parce que je pense que c’est un événement qui fera date. Ce sont des évènements comme cela qui permettent de faire avancer l’industrie musicale africaine et de prendre des décisions qui vont révolutionner les choses. A titre personnel, c’était important d’être là, de participer aux débats et d’apporter mon expertise pour qu’on puisse sortir d’ici avec des orientations et des décisions importantes.
AE : Quel est le point des discussions qui a le plus attiré votre attention ?
EA : Moi ce qui m’a marqué, c’est la qualité et la détermination des intervenants. On a vu des gens qui ont eu une grosse carrière musicale, qui n’ont plus rien à prouver, mais qui se sont investis et ont participé au débat. C’est plutôt cela qui m’a frappé. Ce côté solidaire et ce désir de faire avancer les choses.
« L’Afrique était un territoire au potentiel trop important pour ne pas y être. On parle d’une population de plus d’un milliard d’habitants, d’une population très jeune, plus de 400 millions de personnes entre 15 et 35 ans. »
AE : Votre Major est présente sur le territoire ivoirien depuis quelques années à Abidjan. Quel a été le déclic pour convaincre Sony Music de lancer une représentation physique sur le continent africain ?
EA : Je ne vais pas mentir, je n’étais pas encore là quand la décision a été prise, mais de ce que je sais, l’Afrique était un territoire au potentiel trop important pour ne pas y être. On parle d’une population de plus d’un milliard d’habitants, d’une population très jeune, plus de 400 millions de personnes entre 15 et 35 ans. Donc il y a une vraie possibilité pour les majors de créer un label fort qui aura un grand impact. On sait qu’il y aura beaucoup de changements en Afrique, mais en s’y installant, on peut être en amont de quelque chose. On est sur un travail dont les résultats se verront avec le temps, mais le challenge est très exaltant.
AE : En plus des Majors, des grands groupes de streaming comme Spotfy et Apple Music sont aussi présents en Afrique. Comment Sony Music interagit avec tout cet écosystème ?
EA : On se rend compte qu’on est tous dans le même bateau parce qu’on est en train de construire quelque chose et c’est là l’importance d’évènements comme le SIMA. Ils aident à s’assurer qu’on a tous la même vision. Je sais par exemple que Spotify a récemment créé 5 playlists dédiées à la musique d’Afrique francophone. Un certain manque a été identifié et nous avons fait des rapports à ce sujet. La réaction montre que tout l’écosystème a la même vision de croissance pour la région. Ça prouve qu’il y a une volonté commune de faire avancer les choses. Sony Musique Afrique s’inscrit dans ce registre-là. Nous agissons pour qu’un environnement propice se crée pour l’industrie musicale du continent.
« On a énormément de difficultés à créer un environnement similaire à celui d’autres pays, à savoir où on pourrait vivre des revenus liés aux royalties et aux streams. On est donc obligés de trouver d’autres modèles économiques comme le live, comme les promotions et le marketing pour des marques avec les artistes. »
AE : Quelles difficultés a rencontré Sony music en s’installant sur le continent ?
EA : C’est vrai que je n’étais pas présent à l’installation en Afrique, mais j’ai eu écho des difficultés rencontrées et j’ai finalement eu à m’y frotter en arrivant sur le continent, moi qui étais basé en France. Arrivé à Abidjan, j’ai dû faire face à certaines réalités. Les principaux problèmes dans l’industrie musicale africaine sont d’ordre structurels. On a énormément de difficultés à créer un environnement similaire à celui d’autres pays, à savoir où on pourrait vivre des revenus liés aux royalties et aux streams. On est donc obligés de trouver d’autres modèles économiques comme le live, comme des promotions ou du marketing pour des marques avec les artistes. C’est vrai que ça change un peu mais c’est notre façon de répondre au mieux aux difficultés que nous rencontrons, et on reste optimiste et déterminés à inverser la vapeur sur les points présentant des difficultés.
« Il y a des plateformes comme TikTok qui ont permis de faire des choses très intéressantes en termes de promotions d’artistes. C’est le cas par exemple avec Bello Falcao (interprète du tube viral "Dibango Dibanga" ; ndlr) ou la chanteuse gabonaise Emma. »
AE : Vous avez évoqué le streaming, on en a beaucoup parlé au SIMA. Est-ce que vous pensez que c’est le bon moment pour que tous les acteurs du secteur musical africain commencent à s’investir dans ce segment ?
EA : Je pense que c’est l’objet même de ce salon. Au nombre des sujets qu’il fallait absolument mettre sur la table. Maintenant nous n’avons pas le pouvoir de faire avancer les choses seuls. Il faut discuter avec les autres acteurs de l’industrie musicale, les opérateurs télécoms par exemple, et les pouvoirs publics qui ont un rôle très important. On veut que les choses avancent dans le domaine du streaming. De toutes les façons, il est important que les gens comprennent qu’il y a de nouveaux moyens de développement artistique qui peuvent faire la différence. Il y a des plateformes comme TikTok qui ont permis de faire des choses très intéressantes en termes de promotions d’artistes. C’est le cas par exemple avec Bello Falcao (interprète du tube viral « Dibango Dibanga » ; ndlr) ou la chanteuse gabonaise Emma, qui n’avaient pas forcément de visibilité et qui ont créé une fanbase et fédéré des auditeurs sur TikTok.
« Nous voyons le développement des carrières artistiques dans l’espace anglophone comme un exemple, une inspiration pour l’Afrique francophone et nous recherchons également des moyens de toucher leur marché. »
AE : De votre point de vue, est-ce qu’il y a une réelle différence de dynamique entre l’espace francophone et l’espace anglophone dans l’industrie musicale africaine ?
EA : C’est indéniable. Le développement des carrières artistiques dans l’espace anglophone est impressionnant. Par exemple, au Nigeria, il y a des artistes comme Wizkid, Burna Boy, Davido ou encore de nouveaux artistes comme Oxlade qui explosent. Plutôt que de le prendre comme un problème, nous voyons cela comme un exemple, une inspiration pour l’Afrique francophone et nous recherchons également des moyens de toucher ce marché anglophone. Beaucoup de gens parlent de la barrière de la langue qui fait que la musique d’Afrique francophone est moins exportable, mais je ne suis pas vraiment d’accord avec cela. Il y a un vrai positionnement et il faut qu’on réfléchisse à comment positionner les artistes de la région francophone pour qu’ils aient également une place au soleil. Le potentiel existe en Afrique francophone, il faut juste trouver le moyen de l’aider à donner des fruits.
« Angélique Kidjo c’est un exemple qui prouve qu’on n’a pas de problèmes de talent. Les artistes d’Afrique francophones devraient s’interroger sur les raisons pour lesquelles elle est presque toujours nominée aux Grammy Awards et en prendre de la graine. »
AE : Justement, est-ce que vous pensez que naturellement la densité de marchés anglophones comme le Nigeria ne condamne pas l’industrie musicale d’Afrique francophone à se retrouver éternellement à la traine ?
EA : Si on prend la démographie, on n’a pas à rougir. Certes, le Nigeria est un des pays les plus peuplés d’Afrique et a une industrie musicale beaucoup plus développée, mais en termes de potentiel, on a une carte à jouer. Rien n’est gravé dans le marbre. Il y a eu une prise de conscience au Nigeria, une formation et une éducation à l’industrie musicale qui ont été calqués sur les Etats-Unis et c’est ce qui a fait la différence. Il faut trouver le modèle idéal pour les artistes d’Afrique francophone et c’est plus ça qui est important. Sinon, si on prend les aspects économiques, démographiques et d’autres points très factuels, l’Afrique francophone n’a aucune raison de ne pas espérer pour son industrie musicale. Moi je pense par exemple qu’Angélique Kidjo c’est un exemple qui prouve qu’on n’a pas de problèmes de talent. C’est un cas pratique à étudier, un modèle de longévité, une gestion de carrière admirable, une communication qui est très bonne et je pense que c’est le package parfait pour représenter l’Afrique francophone sur des cérémonies d’excellence comme les Grammy Awards. Je pense que les artistes d’Afrique francophones devraient s’interroger sur les raisons pour lesquelles elle est presque toujours nominée et en prendre de la graine. La musique chez nous est quelque chose qui relève de la passion et du talent, mais beaucoup de gens oublient souvent que c’est une profession et qu’à un moment donné il faut faire des sacrifices et être discipliné pour être comparable à ce type des artistes comme Angélique Kidjo.
AE : Tout au long du SIMA on a remarqué que les gens ne comprenaient pas bien le rôle des Majors et qu’ils pouvaient se montrer assez méfiants. Chez Sony Musique Afrique, comment travaillez-vous pour que certains acteurs arrêtent de vous voir comme le grand méchant loup qui vient prendre possession de titres locaux ?
EA : Je pense que ça nécessite un travail de communication. Au niveau du panel, j’ai beaucoup insisté sur un terme : le besoin. Aujourd’hui, lorsqu’un artiste signe avec une Major, il a des besoins mais je pense qu’il ne se rend pas compte lui-même de ce que sous-entendent toutes ces attentes. Les artistes attendent un résultat, un certain niveau de réussite mais ils ne peuvent pas réellement exprimer les besoins exacts et les moyens nécessaires pour atteindre cette réussite. Il est vrai que c’est notre rôle d’expliquer aux artistes qu’ils doivent avoir des attentes claires et des objectifs bien définis, mais il faut qu’ils comprennent qu’ils ont également un rôle à jouer dans ce domaine. Comme je le disais, nos débuts ont été difficiles parce qu’il y a une compréhension du terrain qui a été longue pour nous et des erreurs ont été commises comme cette stratégie initiale qu’on avait de signer des artistes à forte notoriété. A cette époque du côté des artistes, des managers et des producteurs il y avait une méconnaissance des rôles de chacun qui ne leur a pas permis de démarrer cette collaboration du bon pied mais heureusement les choses ont évolué. Pendant le panel que j’ai animé, j’étais entouré de producteurs indépendants et à aucun moment ils ne se sont ligués contre moi. Ils ont compris et ont dit qu’il fallait que nous collaborions. De notre côté, il faut continuer ce travail de sensibilisation.
Propos recueillis par Servan Ahougnon