La mécanique quantique fascine et intrigue à la fois les scientifiques et le grand public. Ce domaine fondamental de la physique, qui explore le comportement des particules à l’échelle subatomique, a permis des avancées technologiques spectaculaires, comme l’invention des lasers et des ordinateurs quantiques. Mais elle pose aussi des questions profondes sur la nature de la réalité. Parmi ces questions, l’une des plus intrigantes reste la suivante : comment passons-nous d’un monde quantique étrange et incertain à notre monde classique familier, où les objets sont solides et les événements clairement définis ?
Le monde étrange de la mécanique quantique
Dans le domaine quantique, les règles que nous connaissons à l’échelle macroscopique cessent de s’appliquer. Au cœur de cette bizarrerie se trouve la notion de fonction d’onde. Une fonction d’onde n’est pas une simple description d’où se trouve une particule, mais plutôt une carte probabiliste indiquant toutes les possibilités d’où elle pourrait être. Cette superposition d’états est l’un des concepts les plus contre-intuitifs de la mécanique quantique.
Prenons l’exemple célèbre du chat de Schrödinger. Imaginez un chat enfermé dans une boîte avec un mécanisme quantique qui peut libérer un poison. Tant que la boîte reste fermée, le chat est à la fois vivant et mort — une superposition d’états. Ce n’est que lorsque la boîte est ouverte et que nous regardons à l’intérieur que le chat prend un état défini : vivant ou mort. Ce passage du flou quantique à une réalité bien définie est appelé l’effondrement de la fonction d’onde. Mais pourquoi et comment cet effondrement se produit-il ?
Les outils des physiciens pour expliquer l’émergence du classique
Pour expliquer ce passage, les physiciens se sont appuyés sur plusieurs concepts. Le premier est la règle de Born, qui stipule que lorsque nous effectuons une mesure, la probabilité d’observer un état particulier est proportionnelle au carré de l’amplitude de la fonction d’onde à cet état. En d’autres termes, la fonction d’onde ne donne pas un résultat précis, mais seulement des probabilités.
Un autre concept crucial est celui de décohérence quantique. Lorsqu’un système quantique interagit avec son environnement, ses différentes superpositions d’états deviennent rapidement incompatibles. Cela signifie que nous n’observons qu’un état classique cohérent — par exemple, un chat vivant ou mort — plutôt qu’une combinaison des deux. Cette idée est centrale à l’interprétation dite de Copenhague, mais elle n’explique pas tout.
Des interprétations alternatives ont également vu le jour, comme celle des mondes multiples. Selon cette vision, tous les états possibles de la fonction d’onde continuent d’exister, mais dans des univers parallèles. Par exemple, dans un univers, le chat est vivant, et dans un autre, il est mort. Mais si ces mondes existent, pourquoi ne les voyons-nous jamais directement ?

Une découverte récente : le monde classique émergent
Des physiciens espagnols ont récemment apporté un nouvel éclairage sur ce problème. Leur recherche, publiée dans Physical Review X, montre que les caractéristiques du monde classique émergent naturellement de systèmes quantiques complexes. Autrement dit, notre monde macroscopique n’est pas en contradiction avec la physique quantique — il en découle de manière inévitable.
Imaginez un sac d’eau percé de trous. Bien que les molécules d’eau à l’intérieur se déplacent de manière chaotique et imprévisible, l’eau qui s’écoule des trous forme des jets réguliers et prévisibles. De manière similaire, la recherche montre que les systèmes quantiques, bien que complexes et chaotiques, génèrent des structures classiques stables lorsqu’ils sont observés à grande échelle.
L’équipe a simulé des évolutions quantiques sur des échelles sans précédent, impliquant jusqu’à 50 000 niveaux d’énergie. Ils ont découvert que les effets d’interférence quantique, responsables des comportements étranges à petite échelle, disparaissent très rapidement à mesure que la taille du système augmente. Ce phénomène se produit de manière exponentielle et universelle, sans besoin de conditions particulières. Ainsi, même des systèmes constitués de quelques atomes peuvent commencer à se comporter de manière classique.
Ce que cela signifie pour notre compréhension de la réalité
Cette recherche apporte un nouvel éclairage sur la question de l’émergence du monde classique. Elle montre que notre réalité observable n’est pas une anomalie, mais une conséquence naturelle des lois physiques. Cela pourrait également expliquer pourquoi le temps semble s’écouler dans une seule direction — une flèche du temps émerge de certaines branches de l’évolution quantique, tandis que d’autres branches pourraient théoriquement avoir une flèche du temps inversée.
En reliant ces travaux à la mécanique statistique, les chercheurs montrent à quel point des concepts comme la température et la pression émergent de l’interaction d’innombrables particules microscopiques. Cela renforce l’idée que l’ordre et la structure peuvent émerger d’un univers globalement chaotique et symétrique dans le temps.
Et les autres univers ?
L’idée des mondes multiples reste fascinante. Selon cette théorie, notre univers n’est qu’une branche parmi d’innombrables autres. Les travaux récents offrent un cadre pour comprendre comment ces branches peuvent coexister tout en produisant des mondes cohérents et stables. Bien que nous n’ayons pas accès direct à ces autres univers, leur existence pourrait expliquer la richesse et la complexité de notre propre monde.